EXPOS A Ia Galerie Nicole
Buck jusqu 'au 12 juillet
Loustal en noir et blanc
Voyageur-dessinateur,
Jacques de Loustal a posé ses valises à la Galerie Nicole Buck, à
Strasbourg. Illustrateur hors pair et auteur de bande dessinée reconnu,
il revient avec une exposition inédite, des fusains au fort pouvoir
attractif. Rencontre.
Recevoir le prix Alph'Art du meilleur scénario à Angoulême pour Kid
Congo alors que vous n'étiez pas l'auteur des textes n'était-ce pas
frustrant ?
Si, ça m'a un petit peu frustré d'autant plus que le bouquin était au départ
nominé pour le prix du meilleur album. On a su par la suite que dans le
jury il y avait beaucoup d'humoristes. Faut tout de même savoir que Kid
Congo est une histoire particulièrement tragique. Ils ont évacué le
problème en me donnant le prix du scénario. Ça m'a gêné,' c'est vrai.
Cela dit je participe au scénario de mes livres dans la mesure où j'exécute
tout le découpage. C'est d'ailleurs ce que je fais dans les adaptations
de romans. Par contre, je ne supporte pas de travailler avec des scénaristes
professionnels car ils vous donnent en général la page déjà composée.
Le dessinateur devient alors un tâcheron qui fait ce qu'on lui demande de
faire.
Une vieille et belle
collaboration vous lie à l'écrivain Paringaux. Vous avez tout de même
écrit en solo les textes de quelques livres.
En général, ça reste du commentaire de voyage. C'est un peu ciselé,
c'est vrai. Je fais attention à ce que j'écris. C'est plus de l'ordre de
la poésie que de l'information. Chez moi le texte joue en quelque sorte
le rôle d'une musique.
Dans vos fusains exposés
actuellement chez Nicole Buck, on sent naître le désir et l'ennui, aussi
une certaine torpeur mêlée à de la quiétude.
Oui, une forme d'immobilité. Je me rends compte que tous les peintres
que j'aime beaucoup travaillent un peu là-dessus. Des gens comme Balthus
ou Hockney. II y a dans mes dessins un petit côté statuaire.
Je ne suis pas à l'aise dans
le mouvement. Ce qui me préoccupe, c'est le silence et le rapport des
personnages à l'espace.
Quand on regarde vos paysages, vos ambiances, la première impression
ressentie est je crois le bien être ? C'est spécifique au dessin de
voyage. Oui, je dessine pour prolonger un moment de bien être. Je suis
dans un lieu, je me sens à l'aise. Je pourrais très bien griller une
cigarette et rester dans la contemplation. Je participe à un moment, le
dessin est une trace. Voilà pourquoi je ne pourrai jamais dessiner des
trucs pour lesquels j'ai une certaine répulsion.
Dans quel état d'esprit dessinez-vous ?
Le dessin m'aide en fait énormément à vivre, c'est sûr. Je dois
beaucoup au dessin, c'est comme une thérapie. C'est un refuge incroyable.
Vous avez un rapport à la mélancolie
assez prononcé, non ?
Oui. Je vis dans le présent et dans le passé. Pas du tout dans le
futur. La nostalgie, je la revendique tout à fait. En dessinant, peut-être
que je me fabrique des souvenirs.
La réalité toute crue ne
vous intéresse-t-elle pas ?
J'ai besoin qu'il y ait une sorte de filtre. J'ai un peu de mal avec
toute cette mouvance actuelle de la bande dessinée ancrée dans le
quotidien. J'aime en tant que lecteur mais moi je ne pourrais pas faire de
même. II y a des gens qui sont observateurs de leur époque, comme Claire
Brétecher et bien d'autres. Je préfère recréer un univers à moi. Même
quand j'adapte un roman je me l'approprie.
Vos fusains montrent notamment
des paysages urbains vidés de toute présence humaine. Pourquoi ?
C'est de l'ordre du monument et de la statue. Et puis j'aime beaucoup
les villes vides. Ce sont des villes que je connais,que je traverse. Quand
un angle m'intéresse, il faut tout de suite que je fasse un dessin ou une
photo. C'est aussi les huit années d'architecture qui font que je suis
sensibilisé à ça. Mes dessins de villes sont sans doute les plus préparés,
les plus travaillés.
Vous parliez d'immobilité :
dans vos fusains, les personnages sont figés, aux yeux grands ouverts.
C'est très lié à l'art populaire mexicain, africain ou antillais.
L'art naïf me parle beaucoup. Je me souviens avoir observé des peintres
au Sénégal ou à Saint Domingue, dans des petites cahutes. Je trouve
qu'il y a une vraie fraîcheur dans leur travail.
D'où l'idée de la statue que l'on remarque dans votre série de
portraits.
Oui, tout à fait ! Je suis en fait collectionneur de «colons», ces
statuettes en bois polychrome que l'on trouve en Côte d'Ivoire ou en Guinée.
J'en mets souvent dans mes dessins. Malheureusement aujourd'hui c'est un
peu devenu une industrie. Un jour je me suis retrouvé dans une boutique où
la même était vendue à cent exemplaires. J'avais l'impression d'être
dans «L'Oreille cassée».
Propos recueillis par Christian
Nicolas
Hebdoscope juin 2003. 34 - 35 p.
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