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Bande-son pour une BD
Jazz Magazine Barney Wilen et sa Bande 
Jazz Magazine : spécial BD, janvier 1987 

Jamais encore, de mémoire de jazzfan bédéphile, une bande dessinée n'avait eu de bande-son composée et enregistrée sur mesure. Avec La Note Bleue, c'est chose faite : par Barney Wilen entouré de Sangoma, Riccardo del Fra, Philippe Petit et Alain Jean-Marie.

Une bande-son, une vraie, pour accompagner les 69 pages de la bande dessinée

Paringaux y pensait depuis le début de son travail d'écriture. Comme une musique de film. Pas une vague indication en bas de la dernière page du livre disant qu'on pouvait lire cette bal. en écoutant tel ou tel morceau déjà enregistré par tel ou tel groupe. Non, une bande-son originale pensée et jouée en fonction des climats du récit, des éclairages des planches et des atmosphères des chapitres.

L'opération fut difficile à monter. Les grandes compagnies contactées ne voulaient pas prendre le risque de produire un tel travail. Pensez-donc : cela ne s'était jamais fait ! Et il n'était pas prévu d'utiliser des boîtes à rythmes programmées et des hordes de synthés... Philippe Vincent, producteur indépendant du label Ida (et responsable d'Omd, compagnie de distribution phonographique spécialisée dans le jazz) mis au courant de ce projet presque par hasard, fut immédiatement séduit et décida, très vite, de produire La Note Bleue (le disque).

L'histoire de Barney et la Note Bleue est datée de manière précise : la fin des années 50. A cette époque, Barney Wilen, saxophoniste ténor, était une star de la scène jazz européenne. Il a indiscutablement été un des musiciens qui ont « construit » le son de cette période (entre autres, le son de pas mal de musiques de films français marquants de ces années là). Au-delà du fait qu'il avait, en partie, inspiré le «look » du personnage central de l'histoire, Wilen était bien « the right man »pour l'illustration sonore du livre.
Paringaux, Wilen et Vincent tombèrent d'accord sur l'idée d'un disque-concept autant de thèmes-ambiances musicales que de chapitres dans la bal. (thèmes et chapitres intitulés, en principe, de la même manière dans le disque et dans le livre). Et, bien sûr, illustration de Loustal pour la pochette du disque (cela fera la troisième pochette de disque illustrée par un Grand de la bal. pour la firme Ida Vincent a déjà utilisé les talents de Ted Benoît et d'Ever Meulen pour des disques du big band Ornicar).

Les treize séquences choisies utilisent un matériel thématique très diversifié : standards populaires (Besame Mucho), standards plus jazzy (Gond bye, Round Midnight), thèmes fétiches du hard bop (Whisper not, No Problem), démarquages de thèmes connus (Bernie's Tune), compositions originales de Wilen pour certains chapitres (une valse, un twist parodique), musique de générique de feuilleton télé (Harlem Nocturne)... «Derrière »ces thèmes, répétons-le, des atmosphères. Le document de travail de l'équipe de production fournit une longue liste de qualificatifs les concernant :lasse, poisseuse, nostalgique, ensoleillée, euphorique, nerveuse, lourde, moite, speed, noire et blanche, glauque, désespérée, tragique, violente, tourmentée, chic, chagrin feutré, mélancolique, automnale, triste...

Les séances d'enregistrement se sont déroulées début décembre 86 au Studio Gimmick, à Yerres, gros bourg à 30 km de Paris. Quatre séances (P. Vincent n'a pas voulu que ce disque soit une « jam » bâclée, cela n'aurait pas été conforme à l'esprit du projet) tranquilles et sereines, où les musiciens ont joué le jeu : celui de l'illustration sonore d'une histoire aux climats variés. Sans jamais oublier qu'ils étaient des jazzmen. B. Wilen n'était pas là pour cachetonner - il n'a jamais eu l'esprit « requin de studio » cherchant seulement à « assurer » techniquement. Ce n'est pas son truc. Wilen a joué avec le même feeling que lorsqu'il était au côté de Miles Davis en train d'enregistrer la fameuse bande-son d'Ascenseur pour l'échafaud. Musicien sensible, à la sonorité chaleureuse, il a cherché, et, semble-t-il, trouvé sans difficulté le « ton » juste. En harmonie complète avec l'esprit de la bande dessinée de Loustal / Paringaux.

La musique, non mixée, entendue après la deuxième séance, nous a impressionnés le lyrisme de Wilen, son humour plutôt anglo-saxon et l'extraordinaire complicité qu'il entretient avec le hard-bop y font merveille.

Deuxième soirée d'enregistrement : sur la scène de l'ancien cinéma de Yerres transformé en studio, B. Wilen, assis dans la même posture que sur les photos de séances d'il . y a une trentaine d'années avec Miles ou Lee Morgan, plaisante. Il vient d'avoir des ennuis d'anche pendant une prise : « Dommage qu'au sax on ne puisse pas faire le coup du bout de lèvre qui vibre dans l'embouchure... » Tout le monde rigole, avant d'attaquer, authentique son Farfisa en tête, miraculeusement retrouvé par Alain Jean-Marie, un twist au quatorzième degré... Entre deux prises, les musiciens vont boire un pot au bar d'à côté : « Le Bude »... Etonnant.