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© BoDoï # 17 mars 1999

Loustal a tous vents

Il était une fois un petit garçon qui faisait souvent un rêve Merveilleux : une machine le transportait instantanément à l'autre bout du monde. Le petit Jacques est devenu grand, mais sa soif de voyages et de création semble toujours inextinguible. En quatre mois, 'il vient de publier un album de faits divers, un roman de Simenon et un recueil de contes illustrés plus une sélection d'oeuvres diverses. Portrait d’un artiste qu on dit chantre de I"immoblisme et qui pourtant, se déplace et travaille plus vite que son ombre.

Loustal dessinant un rapt de nains de jardin ou une mamie étouffée par tes pogs de ses petits enfants, c'est vraiment Insolite ...

Ce recueil de 46 histoires vraies est né d'un défi lancé par une responsable de Das Magazin, supplément hebdo d'un quotidien germanophone, le Tages Anzeiger de Zurich, à quatre dessinateurs de quatre pays européens. Chacun devait, chaque mois, fournir une bande dessinée en une planche relatant un fait_divers relevé dans la presse. Ça a duré d'octobre 93 à août 97.

Les faits-divers, c'était votre tasse de thé ?

J'en lisais, mais on ne peut pas dire que j'en étais un fou.

Le journal vous les fournissait ?

Ça aurait été trop facile ! Non : nous devions les trouver nous mêmes. Pas évident. Il fallait qu'ils soient drôles, qu'ils puissent être scénarisés et que, surtout, ils ne soient pas trop sordides. Ce qui est le cas de 90% d'entre eux. Au début, je collais sur un cahier tout ce que je trouvais. Ma première source fut Libé qui y consacrait une rubrique spéciale. Le jour où elle a disparu, je me suis retrouvé complètement désemparé. je me suis alors rabattu sur les journaux de province, au gré de mes déplacements. Une fois qu'on a commencé, ça devient une gymnastique. On a toujours un ceil qui traîne. Certains mois, ce fut très dur...

Les planches ont bien marché ?

Oui, mais j'avais des doutes sur la fidélité des traducdons de mes textes «en allemand. C'est pourquoi je suis heureux de les voir édités en V.O. au Seuil.

On a du mat à croire que toutes ces histoires délirantes soient authentiques...

En tout cas, elles ont été publiées par la presse et jamais démenties. Sauf une...

Laquelle ?

« Il pleut des vaches ». Elle raconte le rapt d'un troupeau en Sibérie par l'Armée rouge. C'était en fait un canular lancé par une agence de presse russe. C'était loufoque, mais après tout, pas plus que celle du monsieur qui pisse des graines de tomates.

Quel plaisir avez vous pris à ce travail ?

D'abord, c'était très marrant. je rigole encore en le refisant. La formule me plaisait, car très proche de la bande dessinée qu'on voit dans les quotidiens. Elle m'obligeait à une écriture totalement différente de celle de mes oeuvres habituelles. Ecrire un scénario, faire un découpage sans avoir a inventer l'histoire, m'amusait beaucoup.

 

Vous seriez prêt à recommencer pour un journal ou un magazine français ?

Pourquoi pas ? Mais personne ne me l'a encore demandé.

Cette expérience a-t-elle changé vos habitudes ?

Oui. Elle a modifié très vite ma manière de travailler avec les scénaristes. Depuis, je ne veux plus d'un découpage qui me bloque et dans lequel je m'ennuie vite. je demande désormais un synopsis de dix à quinze pages. Ensuite je fais les découpages et je le leur passe. A eux d'écrire le texte définitit dans la place qui reste. Kid Congo, écrit par Philippe Paringaux est fait ainsi.

Kid Congo a vu le retour des phylactères dans t'univers de Loustal. Une première depuis New-York Miami en 1980, non ?

 

C'est une autre réponse aux préoccupafions que je viens d'évoquer. Paringaux voulait mettre des tartines de texte. Il ne restait presque plus de place pour les dessins! Là, j'ai dit non et non. En contrepartie je lui ai proposé de mettre des bulles laconiques, des bruits, du son quoi. il a sérieusement rétréci l'écriture et c'est bien mieux. Avantage supplémentaire, c'est bien moins emmerdant à faire que de lettrer des tartines !

Paringaux est votre plus vieux complice...

Notre première vraie collaboration remonte à 1977. Il était rédacteur en chef de Rock et Folk où je publiais des dessins. Un jour je lui montre une histoire que j'avais adaptée d'une nouvelle de Boris Vian. Paringaux dit bien aimer les dessins avant de me glisser « je vais peut-être la réécrire un peu... » Et il a fait un texte très, très beau par rapport au mien. Ensuite il m'a écrit une série de douze nouvelles noires qui composent mon premier album, New-York-Miami, paru en 1980 aux Humanos. J'avais 24 ans. L'album s'ouvrait sur Marcello, l'histoire d'un couple de tueurs. Du pur Pulp Fiction 15 ans avant Tarentino ! On en a d'ailleurs tiré un court métrage.

Puis vous êtes passé aux « longs métrages » BD... Oui, avec Coeurs de sable, puis Barney, qui reste une oeuvre de fond de catalogue. Ensuite je lui ai demandé une histoire de gigolo. Ce fut Un garçon romantique Puis Paringaux s'est trouvé embringué dans d'autres travaux, des romans,

des scénarios pour la télé. Quand je l'appelais, à Bordeaux, il fouillait dans ses tiroirs,... C'el ainsi qu'il m'a sorti et raconté Kid Congo, un scénario refusé par Canal +. J'ai trouvé ça formidable, mais d'une telle noirceur que j'hésitais! Et puis, rien d'autre ne venant, je lui ai demandé un synopsis. J'ai fait un découpage de 62 pages. C'était parti pour un an de travail! L'album, sorti en 97, a bien marché. Il a été primé à Genève, à Angoulême.

Et depuis ?

Depuis, Paringaux ne m'a, hélas, rien propose. Enfin si, il a bien un projet, mais que je n'aime pas, que je n'ai pas envie de faire. Une histoire inspirée de la vie de Robert Le Vigan au Paraguay, après la guerre. C'est plein de vieux gestapistes, de nazis, de collabos. Pas facile de trouver des personnages attachants dans un tel milieu. Quand je pense au travail que représente un album, je ne sais pas prêt à m'embarquer dans un truc qui me laisse froid.

Alors finie, la BD ?

Non, je sois en plein découpage de la prochaine sur un scénario de Jérôme Charyn, l'écrivain américain avec lequel j'ai déjà réalisé Les Frères Adamov. Il m'a proposé une sacrée bonne histoire. Un portrait de femme, Sonya, une ancienne pute qui a assassiné deux de ses macs. L'histoire commence à sa sorbe de prison. C'est un vrai polar noir, à la trame assez classique. Les personnages sont très beaux.

Vous venez d'illustrer Touriste de bananes, un roman noir de Simenon.

C'est l'aboutissement d'une très longue histoire qui remonte à la fin des années 80. Simenon est un auteur que J'aime beaucoup. je me retrouve dans ses analyses de comportement des personnages. A l'époque de Futuropolis-Gallimard, j'avais souhaité Illustrer un de ses romans, Pas un Maigret bien sûr, non, un de ses romans durs et exotiques comme Le Coup de lune, paru en 1932 et se déroulant en Afrique ou encore Quartier nègre, paru en 1935 se déroulant au Panama. Nous avons dû renoncer à cause des droits énormes que réclamait son agent. J'avais bien envoyé des dessins de préparation

à Simenon, niais à mon avis il n'a rien dû voir. Du coup, j'ai abandonné l'idée et j'ai illustré Sous la lumiere froide de Mac Orlan. C'était très bien, à part qu'il n'y a plus grand monde qui lise cet auteur aujourd'hui. Et puis, il y a deux ans, je reçois un appel de Mylène Demongeot! L'actrice, épouse de Marc Simenon, s'occupe de faire vivre le fond de l'oeuvre de son beau-père. Et elle me propose de me donner les droits, enfin de me permettre d'illustrer un roman de Simenon. Ce coup de fil tombait d'autant mieux que Vertige Graphic me demandait alors de m'attaquer à Au coeur des ténèbres de Conrad. je n'étais pas très chaud... C'est ainsi que j'ai fini par illustrer Touriste de bananes, un Simenon de 1938.

Curieusement pour un grand voyageur comme vous, il n'y a pas de croquis de Tahiti où se déroute le roman, parmi vos illustrations.

Très honnêtement, je n'y suis jamais dé ! Et je ne veux pas travailler sur cartes postales. Alors...

Tiens, à propos, que pensez-vous de ta méthode Christin qui consiste à faire illustrer des livres de voyages par des dessinateurs s'inspirant des photos qu'il ramène ?

Moi, ça me gênerait énormément. on voit quand un dessin vient d'une photo, quand la personne n'a pas été sur place, ne s'est pas rendue compte de l'atmosphère, de la température qu'il faisait. Non, ça fausse les choses.

Prêt pour un deuxième Simenon ?

Ca dépendra. il faudra voir comment celui_ci va marcher. Car j'ai un problème. Aujourd'hui, mes bouquins, quels qu'ils soient, se retrouvent toujours au rayon BD. A la Fnac, le Simenon est au rayon BD. je fais mon Carnets de voyage ? Hop, au rayon BD. Du coup, certains ne touchent pas tous les publics auxquels ils sont destinés. Et puis, illustrer est un énorme travail, vachement contraignant. Vous faites les esquisses et au moment d'encrer vous vous dites : « Zut ! Comment sont ses cheveux ? C'est une rousse ? ». Et il faut partir à la chasse d'un détail dans le texte. C'est long, long...

En page 25, le gars que vous dessinez en pyjama rose, en porte un rayé dans te texte.

Vous voyez ! Et pourtant, sur le crayonné, j'avais bien esquissé les rayures !

L'adaptation de romans en BD ne vous tente pas ?

Il y a des projets en l'air. Chez Gallimard, Tardi va faire un Pennac. Des Italiens m'en ont proposé. Mais la plupart du temps les éditeurs vous demandent impérativement de choisir des ouvrages anciens, fibres de droits. Qui dit anciens dit scènes en costumes ! Et je n'en veux surtout pas.

Vous venez également de sortir Soleils de nuit chez Casterman avec Paringaux.

C'est une compilation que je fais tous les cinq ans. Une sélection de ma production hors BD, des illustrations, des peintures. Une grande partie des oeuvres viennent d'une exposition faite en Amérique latine. Quand l'album est prêt, Paringaux fait quelques légendes... là où il reste de la place!

A quand un troisième Carnets de voyage ?

Il est en route.

 

Vous voyagez toujours autant ?

Dès que je le peux ! J'accepte systématiquement tout ce, qu'on me propose hors de France. Et j'ai toujours sur moi un carnet 12 x l8. J'alimente ainsi mes Carnets de voyage, sans jamais retoucher les croquis faits sur place, sans tricher en les aquarellant après. Quand je voyage en « toniiste », j'aime choisir des villes côtières ou des îles Hélas, pour des raisons familiales et professionnelles, je ne peux partir plus de quinze jours d'affilé.

Vous avez dit « mes voyages, c'est mon garde-manger ». Qu'avez-vous au frais ?

Mon carnet rouge est rempli de croquis de New-York pour le Charyn, beaucoup d'autres sur Mexico et plein de trucs sur l'Afrique. Ma prochaine exposition, fin mai galerie Desbois (14, avenue de la Bourdonnais, Paris VII. France ), s'appellera Retour d'Afrique.

Consacrez-vous beaucoup de temps à la peinture ?

Oh oui ! C'est un truc que je ne contrôle pas encore. La couleur, l'aquarelle je commence à connaître. je me surprends moins. Alors que, quand je commence une toile, je ne sais absolument pas à quoi ça va ressembler. Ni combien de temps ça va me prendre. Un jour ou deux mois... C'est à la fois très douloureux et très excitant.

Quel matériel utilisez-vous ?

L'huile pour les peintures. je n'aime pas du tout les acryliques. L'huile est beaucoup plus en prolongation avec l'aquarelle Pour les grands formats, je prends des pinceaux chinois. J'adore ces objets. Pour les BD, j'utilise la plume et un mélange d'encre et d'aquarelle. je colorise dix pages par dix pages, en gardant les mêmes gammes de couleurs, la même lumière dans chacune de ces séquences. J'aime faire évoluer ma technique. Déjà, dans Kid Congo, j'exprimais des volumes avec un modelé au crayon et non plus par des dégradés de couleurs. Et je vais essayer de travailler la prochaine histoire avec Charyn encore différemment.

Loustal et l'informatique ?

Zéro. je m'emmêle déjà avec le minitel, alors ! je ne suis pas équipé. Du coup, Dominique Daniel, qui m'a consacré un site Loustal, doit chaque mois imprimer tout le courrier qui arrive et me l'apporter...

Jean-Pierre Fueri

© BoDoï # 17 mars 1999

BO-DOÏ est un magazine mensuel de Bande Dessinée apparu en octobre 1997

BoDoï , 7, rue de Paradis, F-75010 Paris France [ e-mail lz.bd@wanadoo.fr ]

 


 

 BODOI Receuil N°3. Vance, Serpieri, Spirou, Loustal....
Contient les n° 17, 18 et 19. Aout/sept/oct 1999.