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Les carnets à spirales de LOUSTAL 

© Bachi-Bouzouk

 


"AUTEUR DE BANDE DESSINEE PIONNER DANS LA PUBLICATION DE SES CARNETS DE VOYAGE, JACQUES DE LOUSTAL EST UN GRAND VOYAGEUR.

De New York, Miami à Kid Congo, l’exotisme et le dépaysement sont des composantes majeures de son œuvre. Loustal voyage, dessine, photographie, comme un écrivain prend des notes.

« J’ai toujours adoré voyager. Mais avant de voyager, j’adorais regarder les cartes et me promener dans les atlas… ». Pour un auteur qu’on a souvent taxé de littéraire, cet aveu pour l’amour des livres est à l’image du plaisir que l’on prend immédiatement en ouvrant un ouvrage de Loustal. Que ce soit en prenant une bande dessinée ou un carnet de voyage, c’est le même appel du large, la même envie de s’évader, de découvrir autre chose que la banale réalité de notre quotidien. Depuis, le début, les titres de ses livres parlent d’eux-mêmes : Arrière saison, Zénata plage, Cœurs de sable, Kid Congo… Jusqu’à son dernier ouvrage publié l’année dernière, Touriste de bananes, adaptation d’un roman méconnu de Georges Simenon – dont Loustal est un grand admirateur – et qui raconte ces drôles de touristes qui fuyaient la France pour les colonies, pensant qu’on pouvait y vivre simplement en mangeant des bananes.

En 1990, sous l’impulsion d’Etienne Robial, Loustal publie chez Futuropolis son premier carnet de voyage qui reprend des extraits de carnets de croquis dessinés entre 1981 et 1989 au Maroc, en Espagne, à l’île Maurice ou au Mexique. Depuis, Le Seuil a repris le principe, rééditant ce premier travail puis le complétant par un deuxième livre en 1997. Aujourd’hui, les carnets des dessinateurs de bande dessinée sont de plus en plus matière à publication, comme nous le montre l’excellent carnet de Barcelone de Dupuy et Berbérian

. D’ailleurs, cette année, le Festival BD à Bastia ne s’y est pas trompé, faisant des dessins de voyage le thème d’une de ses expositions, et plaçant les auteurs de bande dessinée comme les créateurs d’une autre littérature de voyage.

Chez Loustal comme chez Hugo Pratt, le voyage est d’abord d’une tradition familiale : « Mon père voyageait beaucoup, il ramenait toujours plein de chose de ses voyages, des objets, des souvenirs. Il y avait aussi beaucoup de déplacements dans ma famille, même à des générations très lointaines. Par exemple, j’ai des aïeux qui ont voyagé en Chine. Il y avait pas mal de militaires qui allaient dans des garnisons à l’étranger. J’ai vécu avec cette idée du voyage. Le fait de pouvoir mettre le doigt sur une carte et d’essayer de savoir ensuite comment est l’atmosphère du pays. J’ai une sorte de boulimie de connaissance, comme le projet de connaître tous les endroits du monde. Je pense qu’il faut partir dès que l’occasion se présente, même pour deux jours. Se retrouver étranger dans un pays, être dans un état de découverte permanente, c’est très excitant. Mais c’est vrai que voyager peut demander des efforts. Quand on arrive dans une ville il faut toujours une certaine énergie pour décoder l’endroit. On arrive en avion et on voit le pays d’en haut, c’est gigantesque, ça peut faire peur. On voit des mecs en voiture qui savent où ils vont, il peut faire nuit et la ville est remplie de petits points lumineux, et nous, on arrive là-dedans, on connaît rien. Tout ça demande un certain effort et je comprends qu’il y ait des gens qui n’aiment pas voyager, que ça emmerde, qui se retrouvent dans des voyages organisés. »

Ainsi, Jacques De Loustal aime partir seul : « J’accumule le maximum de guides, je fais des rafles dans les bibliothèques de tout ce que je peux trouver sur un pays, je prends un vol avec une voiture à l’arrivée et après je voyage d’hôtels en hôtels, sans m’arrêter. Quand j’étais plus jeune, j’ai fait un long voyage en stop à travers la Yougoslavie. Maintenant je ne fais plus ça, je peux me payer l’hôtel ! Mais je n’aime pas trop les palaces, j’aime mieux les vieux hôtels, comme ces hôtels au Maroc sortis des années trente. Par exemple je suis allé récemment au Caire pour faire l’affiche d’un festival et j’ai demandé à Golo de me trouver un vieil hôtel anglais au centre de la ville… »

 

Auteur de bande dessinée, illustrateur, c’est aussi la possibilité de voyager et Loustal ne crache pas sur un petit déplacement tout frais payés. En fait, toutes les occasions sont bonnes pour faire une petite virée loin de la grisaille parisienne : festival, repérages, dessins pour une affiche ou une illustration : « Dans mon métier, je suis amené à souvent voyager, à travers les instituts français par exemple, les centres culturels, les festivals de BD, dans des pays où je n’aurais peut-être pas fait l’effort d’aller, comme en Roumanie, en Pologne, ou en Islande. En fait, quand je voyage pour le travail, je le fais dans des conditions formidables : je suis reçu par des gens qui connaissent très bien le pays, je suis présenté à des artistes locaux, etc. Je ne peux pas dire que c’est du boulot, c’est pas comme un mec qui travaille dans une entreprise et quand il part à Hong Kong, il va au sommet d'une tour En même temps, j’envie les gens qui ont une profession où on les envoie comme ça tous les deux ans vivre comme expatriés dans un pays étranger. Ce n’est pas la même chose quand on est résident. La seule fois où j’ai vraiment vécu à l’étranger, ça m’a beaucoup marqué, c’est quand je faisais ma coopération au Maroc. J’ai vécu un an et demi dans une petite ville sur la côte atlantique. Ca m’a beaucoup plu. En fait, j’ai toujours cette idée d’aller m’installer à l’étranger, j’ai encore quelques années pour ça. »

 

 

Au gré des travaux d’illustrateur, les destinations varient : « Récemment, j’ai été très marqué par des voyages en Amérique du Sud, j’y ai fait six voyages : en Argentine, au Chili et en Equateur, car j’avais une expo personnelle itinérante. Ces pays m’effrayaient un petit peu à cause de toute la parano politique liée à ces endroits. En fait, j’ai trouvé qu’il y avait avec nous européens une proximité humaine beaucoup plus riche qu’avec les paysans du Middle-West par exemple. Il y a un fond de culture commun. Nous sommes tous des latins. D’ailleurs, je me suis remis à l’espagnol pour mieux profiter de ces pays. Le dernier de ces voyages aux Galápagos était magnifique. Autrement, j’ai eu l’occasion de faire un livre sur l’Indonésie publié chez Christian Desbois, Java, et puis, j’ai aussi participé au projet Kodansha des dessinateurs français au Japon. Les quinze jours à Tokyo avaient été formidables. »

Boulimique de destinations, Loustal n’oublie pas de se réserver des voyages personnels, en dehors de toute activité professionnelle. Environ deux fois par an, de grands voyages sont décidés, mais jamais pour trop longtemps, quinze jours au maximum. Comme dans ses bandes dessinées, Loustal aime les îles dont on peut faire le tour, les pays chauds : «  J’aime les paysages marins, les lumières liées à la mer, l’architecture marine. Les effets du sel et du vent sur la terre sont des choses auxquelles je suis sensible… » Et surtout, Loustal aime rapporter quelque chose de ses voyages : «  J’adore rapporter des images. J’ai fait beaucoup de photos quand je tirais moi-même les négatifs. C’est une activité que j’avais développée quand j’étais adolescent, dans la salle de bains de mes parents et que j’ai abandonné il y a peu de temps. »

Car ce qu’on sait peu, c’est que Jacques De Loustal est aussi un excellent photographe, auteur notamment de nombreuses vues panoramiques, assemblage de plusieurs photographies, à l’image du travail de David Hockney sur ce sujet. De la même façon, Loustal observe, dissèque, enregistre, parfois pour les besoins de son travail, et expérimente les nouvelles technologies numériques : «  J’ai découvert un autre truc pour rapporter des images, ce sont les petits caméscopes numériques, petits donc très discrets. Ca enregistre tout ce qu’on veut avec une sensibilité très fine, comme un œil supplémentaire. Je passe ça par la fenêtre de la voiture, je peux faire des arrêts sur images, c’est vraiment trop facile, c’est incroyable. Ca m’a beaucoup servi dans mes repérages pour la bande dessinée que je fais actuellement avec Charyn, White Sonia, j’ai pu filmer des scènes du Bronx plutôt difficile à prendre habituellement. Après je fais des petits albums en imprimant sur une imprimante vidéo des petites images. »

 

 

Les carnets de voyages de Jacques De Loustal sont des petits bijoux de simplicité. En les feuilletant, il est possible qu’on parvienne à partager la véritable intimité de l’artiste en voyage, visitant sa chambre d’hôtel, se baignant dans les mêmes eaux, partageant la même humanité. D’autant que l’exercice confère une grande liberté créatrice : «  Le carnet est un principe très libre qui permet d’expérimenter de nouvelles techniques. Un jour, je suis parti à l’île Maurice un peu rapidement, j’avais oublié mon matériel en me disant bon, c’est pas grave, je vais trouver des plumes là-bas. En fait, il n’y avait rien de tout ça, il n’y avait que des pinceaux chinois que j’ai achetés dans un bazar et comme il n’y avait que de l’encre bleue, j’ai commencé à faire ces dessins au pinceau. C’était la première fois que j’expérimentais cette technique. D’autres fois, je retrouve la possibilité d’utiliser le Bic pour faire des hachures comme des sketchbooks de Crumb. C’est très agréable car dans la bande dessinée, on est coincé du début à la fin dans une certaine cohérence graphique. En illustration, c’est pareil, on s’attend toujours à ce que je présente un certain type de travail. C’est vrai que depuis que ces carnets sont édités, je ne suis plus aussi innocent. Il y a aussi des moments où, le soir, je fais des dessins en me rappelant de ce que j’ai vu. Ca, c’est autre chose, c’est comme les notes d’un écrivain. A la base, il y a toujours ce plaisir de ramener des livres remplis de dessins, c’est le principe du livre unique. » Et puis, l’important n’est pas de rendre compte exactement de la réalité : «  Ce qui m’intéresse c’est le résultat. Quand j’ai commencé à dessiner d’après nature, je faisais ça au crayon avec ma formation d’architecte, c’est à dire avec les perspectives. Un truc très chiant qui donnait lieu à des dessins très scolaires, très laborieux, comme le font les étudiants en architecture qu'on voit au Forum des Halles. Moi, j’ai appris les perspectives dans des manuels du début du siècle destinés à des militaires qui devaient aller dessiner des croquis topographiques, utilisables en cas de guerre, et qui devaient donc, être très très précis. C’est très bien, ça apprend la profondeur, mais en fait, on s’en fout complètement de savoir si c’est exactement pareil. En fait, il y a quelques années, j’ai vu une amie qui dessinait une voiture. Elle commençait comme ça, par un bout, et elle s’en foutait complètement de savoir ce que ça allait donner. Petit à petit, l’image de la voiture devenait complètement déformée et ça donnait un dessin finalement beaucoup plus intéressant. A partir du moment où on dessine l’arête d’un mur tout le reste en découle. L’intérêt pour moi c’est le résultat, c’est le dessin généré par le moment. Dès le départ, le dessin de voyage, c’était un dessin de pur plaisir. Je suis bien dans un endroit alors, pour prolonger un moment, je prends un carnet avec un papier que j’aime bien, avec une plume qui fait un joli bruit sur le papier, et je dessine. Il n’y a aucune idée de reportage là-dedans. Je dessine ce que j’ai devant moi, au moment ou j’ai envie de dessiner. C’est pour ça qu’aux Etats-Unis, c’est beaucoup plus difficile de le faire parce qu’il faut s’arrêter. Les pays que je dessine sont souvent des îles où je ne peux plus bouger. » En attendant le prochain livre de bande dessinée de Loustal à paraître chez Casterman, une histoire qui prend ses racines dans la violence du Bronx de New York, on pourra, en janvier 2000, se régaler d’un nouveau carnet publié. Ce sera juste après le prochain voyage. Destination : la Chine."

Vincent Bernière

© Bachi-Bouzouk - NUMERO 6, OCTOBRE 1999/  P.18,19,20,21

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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