2012 HG Wells, Télérama
Jacques de Loustal, HG Wells, Télérama,
18 janvier 2012
Jacques de Loustal illustre dans le Télérama du 18 janvier 2012 la
chronique du livre de David Lodge, Un homme de tempérament, consacré à
l'écrivain HG Wells :
Jacques de Loustal, HG Wells, Télérama, 18
janvier 2012
Jacques de Loustal illustre dans le Télérama du 18 janvier 2012 la chronique
du livre de David Lodge, Un homme de tempérament, consacré à l'écrivain HG
Wells :
Un homme de tempérament de David Lodge dresse le portrait de H.G Wells,
auteur libre et inventif.
Le Livre Après un essai consacré à Henry James, L'auteur ! L'auteur !, paru
en 2005, David Lodge s'intéresse à une autre sorte d'écrivain, cette fois
sur le mode romanesque : son compatriote Herbert George Wells (1866-1946),
lui aussi très prolifique, non seulement réputé pour ses romans de
science-fiction - La machine à explorer le temps, L'île du docteur Moreau,
L'homme invisible, La guerre des mondes, etc. -, mais ayant également écrit
des romans à connotation sociale et politique ainsi que nombre d'ouvrages de
vulgarisation. Non content d'avoir été l'un des écrivains les plus créatifs
et les plus prophétiques de sa génération, H.G. Wells fut surtout un homme
qui voulait changer le monde tout en laissant libre cours à son désir. C'est
ce qu'il ressort particulièrement de cet étonnant et ambitieux portrait
qu'en brosse David Lodge, révélant un séducteur impénitent, bien que "pas
spécialement beau, qui mesurait à peine un mètre soixante-cinq et avait une
tendance à l'embonpoint" ; un fervent défenseur de l'Amour Libre, dont les
aventures et mésaventures sexuelles détermineront le destin, au point de
compliquer sa vie privée non sans nuire à ses ambitions d'homme public.
D'une plume aussi alerte qu'érudite, souvent drôle, qui alterne les
registres stylistiques, Lodge saisit son modèle au crépuscule de sa vie,
alors que l'Angleterre subit les bombardements des avions allemands, et
remonte le fil d'une existence hors du commun : reçu par Gorki lors d'une
visite en Russie en 1920, témoin privilégié de l'expansion du socialisme, de
la naissance des théories féministes, des deux guerres mondiales, H.G. Wells
a trouvé un biographe à sa (dé) mesure
Extrait
Au printemps de 1944, Hanover Terrace, imposante rangée de maisons de ville
dessinées par John Nash, située dans le périmètre ouest de Regent's Park, a
sans conteste subi les ravages de la guerre. La façade décorée de stuc
crème, à l'abandon depuis 1939, est défraîchie, lézardée, et s'écaille ; de
nombreuses fenêtres, brisées par les explosions de bombes ou les ondes de
choc des canons antiaériens de Primrose Hill, sont condamnées ; l'une des
maisons, vers l'extrémité, touchée par une bombe incendiaire, n'est plus
qu'une carcasse vide, noire de fumée. L'élégante arcade courant sur toute la
longueur de l'édifice, qui sert de porche commun aux portes d'entrée des
maisons, s'effrite et se détériore, tout comme les massives colonnes
doriques qui soutiennent l'élément central de la bâtisse - un fronton
abritant des statues de figures classiques occupées à diverses activités
utiles ou artistiques, dont deux ont perdu leur tête et une autre un bras.
La déesse qui trônait autrefois au sommet du fronton, un globe entre les
mains, considérée - si elle venait à être renversée par une explosion -
comme un danger potentiel pour les passants, a été enlevée ; et les grilles
en fonte, élégamment peintes en noir et or, qui séparaient autrefois la
contre-allée et sa haie d'arbustes de l'Inner Circle du parc, ont été il y a
bien longtemps délogées et emportées pour fabriquer des munitions.
Une seule maison, le numéro 13, a été occupée de façon permanente pendant
toute la durée de la guerre par son propriétaire, Mr H. G. Wells. Pendant le
Blitz de 1940-1941, il s'est souvent entendu dire plaisamment que c'était un
chiffre qui pouvait porter malheur, à quoi il a réagi, fidèle au mépris de
toute une vie pour la superstition, en faisant peindre sur le mur à côté de
sa porte d'entrée un "13" encore plus grand. Il s'est obstinément refusé à
partir s'installer à la campagne, déclarant "pas question que Hitler (ou, en
compagnie masculine, "cette merde de Hitler") me prenne en flagrant délit de
fuite", et il est resté à son poste à Hannover Terrace alors que ses voisins
se carapataient un à un et que leurs maisons étaient habitées par des
sous-locataires ou demeuraient inoccupées.
Tant qu'il fut physiquement en état de le faire, H. G. revêtit un casque de
volontaire et prit son tour de surveillance des incendies depuis le toit de
Hanover Terrace, en partie par devoir patriotique et en partie par
sollicitude personnelle pour le tapis d'Aubusson de son salon. Il éprouvait
aussi une sombre satisfaction à se trouver en quelque sorte aux premières
loges pour observer l'accomplissement de la prophétie qui avait été la
sienne dès 1908, dans son roman La Guerre dans les airs, selon laquelle les
guerres futures seraient dominées par la puissance aérienne et les villes et
les populations civiles se verraient détruites par des bombardements
systématiques. Force était de constater qu'il s'était trompé en imaginant
que cette stratégie serait mise en oeuvre principalement par d'énormes
dirigeables, aussi gros que des paquebots, plutôt que par des avions, mais
étant donné l'état de la technique aéronautique en 1908, l'hypothèse n'était
pas si extravagante, et ne sembla certainement pas telle quelques années
plus tard quand les zeppelins allemands apparurent dans le ciel nocturne
au-dessus de l'Angleterre. Les éditions Penguin, en tout cas, considérèrent
La Guerre dans les airs suffisamment d'actualité pour rééditer le livre en
1941, accompagné d'une brève préface rédigée par ses soins, qui se terminait
par une épitaphe qu'il souhaitait voir inscrite sur sa tombe : "Je vous
l'avais dit. Bande de cons."
La surveillance des incendies n'est plus de son ressort maintenant, mais le
besoin en est faible. En ce printemps de 1944, les sirènes retentissent
rarement. La reprise inattendue des raids nocturnes allemands au début de
l'année s'est finalement réduite à de symboliques représailles aux
bombardements intensifs des villes allemandes par les forces aériennes
britanniques et américaines, et a bientôt tourné court. Il n'y a plus à
présent que les raids éclairs occasionnels, perpétrés de jour par de rapides
chasseurs bombardiers qui, volant à basse altitude, se faufilent sous
l'écran radar, mais atteignent rarement le centre de Londres. Le cerveau
militaire de l'Allemagne nazie a plus urgent à penser : résister coûte que
coûte à l'avancée des armées russes à l'est, et se préparer à refouler
l'invasion de la France occupée, que tout le monde sait imminente. Londres
est sûre à nouveau, et, un à un, les propriétaires de Hanover Terrace
reviennent discrètement reprendre possession de leur bien, sous le regard
quelque peu méprisant de H. G. qui est resté ici tout ce temps, fidèle à ses
habitudes, à écrire ses livres, répondre aux lettres, faire sa petite
promenade quotidienne - traverser la rue et pénétrer dans le parc, en
direction du zoo ou du Rose Garden, ou descendre Baker Street jusqu'au
Savile Club sur Brook Street, avec une pause en chemin à la librairie Smith.
Récemment il a dû abandonner ces expéditions - même le Rose Garden est trop
loin. Il n'est pas bien. Il n'a pas de force. Il n'a pas d'appétit. Il se
lève tard et s'installe dans un fauteuil dans le petit salon, ou dans le
solarium, balcon vitré situé à l'arrière de la maison, une couverture sur
les genoux, à lire et somnoler tour à tour, se réveillant en sursaut quand
son livre glisse jusqu'au sol, ou quand sa belle-fille Marjorie, qui lui
tient lieu de secrétaire depuis la mort de sa femme, lui apporte des lettres
qui attendent réponse ou vient simplement s'assurer qu'il n'a besoin de
rien. Le soir il reçoit la visite de son fils aîné Gip, le mari de Marjorie,
ou d'Anthony, le fils naturel qu'il a eu avec Rebecca West, né le premier
jour de la Première Guerre mondiale. Il a conscience des allées et venues de
ces trois personnes, qui l'examinent avec des froncements de sourcils
inquiets. Depuis quelque temps une infirmière passe la nuit à la maison ;
maintenant, son médecin recommande que l'on emploie une infirmière de jour
également. Il se demande s'il n'est pas en train de mourir.
Un soir d'avril, Anthony West téléphone à sa mère. Elle reçoit l'appel à son
domicile, Ibstone House, aile subsistante d'un manoir de l'époque de la
Régence, avec ferme attenante, dans la campagne à proximité de High Wycombe,
où elle habite avec son mari Henry Andrews, banquier et économiste employé
actuellement au ministère de l'Economie de guerre.
"J'ai hélas une bien mauvaise nouvelle, dit Anthony. Horder dit que H. G. a
un cancer du foie.
- Oh mon Dieu ! s'écrie Rebecca. C'est terrible. Le sait-il ?
- Pas encore.
- Vous n'allez pas le lui dire, j'espère ?
- Eh bien, j'en ai discuté avec Gip. Nous pensons qu'il le faudrait.
- Mais pourquoi ?
- H. G. a toujours été d'avis de regarder les choses en face. Il n'a pas
peur de la mort. Il l'a dit maintes fois.
- C'est une chose de le dire...
- Je ne crois pas que nous devrions discuter de cela au téléphone, Rac", dit
Anthony, l'appelant par le sobriquet qui est le sien depuis qu'elle a épousé
Henry et qu'ils se sont mis à s'appeler Ric et Rac, en hommage aux deux
chiens de la bande dessinée française. "J'aurais aimé venir te l'annoncer de
vive voix.
- Parce que tu es très bouleversé ?
- Parce que j'ai pensé que toi, tu le serais.
- Mais évidemment que je le suis", se récrie Rebecca, légèrement piquée au
vif. Menues accusations et protestations diverses, sous-entendues ou
insinuées, sont le lot de leurs conversations, qui ont une fâcheuse tendance
à s'envenimer.
"Je ne peux pas me déplacer jusqu'à Ibstone en ce moment, dit Anthony. Nous
sommes à court de personnel au Far East et je suis très occupé." Il
travaille actuellement comme secrétaire de rédaction au département
Extrême-Orient du service étranger de la BBC.
Anthony résume le pronostic de Horder : H. G. pourrait bénéficier d'une
rémission, mais il ne lui reste vraisemblablement qu'un an à vivre, tout au
plus. Ils discutent à nouveau de la question de savoir s'il faut l'en
informer, jusqu'à ce que Rebecca coupe court à la conversation. Elle se rend
dans son bureau et consigne l'événement dans son journal, concluant : "Mon
souci principal est qu'Anthony ne soit pas trop durement frappé par cette
nouvelle. J'ai fait la paix avec H. G. J'ai oublié les choses cruelles qu'il
m'a infligées, mais notre affection est vivante et vraie." Elle a toujours,
quand elle rédige son journal, un oeil sur ses biographes futurs, qui y
puiseront leurs citations.
Anthony appelle Jean, jeune et jolie brunette aux seins magnifiques,
secrétaire à la Bush House, avec qui il entretient une relation passionnée,
et lui fait part de la nouvelle concernant son père. Elle l'écoute avec
compassion, mais n'est pas en mesure de partager pleinement ses émotions car
elle n'a jamais rencontré H. G., et ne peut être présentée ni à lui ni au
reste de la famille parce qu'Anthony est marié avec Kitty, qui administre
leur ferme et prend soin de leurs deux enfants pendant qu'il travaille à la
BBC, et qui, présentement, n'est pas au courant de l'existence de Jean.
Anthony, dans l'état actuel des choses, occupe, lorsqu'il travaille à la
BBC, l'ancienne écurie aménagée en petit appartement et située au fond du
jardin à l'arrière du 13 Hanover Terrace, connu dans la famille sous le nom
de "Chez Mr Mumford", ancien locataire disparu depuis longtemps et
vraisemblablement décédé.
"Est-ce que tu as parlé à ta femme, pour nous deux ?" demande Jean à
Anthony, baissant la voix de sorte que sa colocataire Phyllis n'entende pas.
Leur relation est consommée principalement dans cet appartement, commodément
situé à proximité du siège de la BBC, pendant la journée, quelques heures
grappillées de-ci de-là quand ils sont libres et que Phyllis travaille.
"Pas encore.
- Quand vas-tu le faire ?
- Je dois attendre le bon moment.
- Il n'y aura jamais de bon moment. Il faut que tu le fasses, c'est tout.
- Ce n'est pas possible, alors que nous sommes tous sous le coup de cette
nouvelle concernant H. G.
- Eh bien...
- Je t'aime, Jean.
- Moi aussi je t'aime. Mais j'ai horreur de faire les choses en douce.
- Je sais, mais sois patiente, ma chérie", dit-il.
Quelques jours plus tard, Rebecca reçoit un appel de Marjorie, lui demandant
de venir voir H. G. "Cela va-t-il lui faire plaisir ?" demande Rebecca. Les
blessures liées à leur séparation en 1923 ou 24 (ils n'ont jamais su ni l'un
ni l'autre exactement quand celle-ci a pris un tour définitif), au terme
d'une relation orageuse et passionnée étalée sur une décennie, ont guéri, et
leurs rapports ont été amicaux ces dernières années, mais la maladie qui
menace sa vie fait peser sur cette visite une tension particulière. "Il a
dit qu'il aimerait te voir", dit Marjorie. "Dans ce cas je viendrai", répond
Rebecca. "Est-il au courant de sa... ?
- Oui", fait Marjorie.
Rebecca emporte avec elle un panier contenant des oeufs, du beurre et du
fromage de la ferme d'Ibstone House, précieuse largesse que la gouvernante
reçoit avec gratitude. "Mr Wells ne digère plus les oeufs en poudre, quoi
que j'en fasse, dit-elle. Un bon oeuf à la coque bien frais le tentera
peut-être."
H. G. a passé une mauvaise nuit et n'est pas tout à fait prêt à voir Rebecca
quand elle arrive ; on l'introduit donc, en attendant, dans le long salon du
rez-de-chaussée. Elle n'a jamais aimé cette maison : grandiose mais froide
et plutôt lugubre, avec ses sombres parquets cirés et ses murs beiges,
meublée avec un bon goût impersonnel, comme un hôtel de luxe. Il y a un
tapis d'Aubusson dans le salon et un cheval en terre cuite Tang sur la
tablette de cheminée, mais ils témoignent de la richesse du propriétaire,
pas de sa personnalité. H. G. n'a jamais eu beaucoup de goût en matière
visuelle, se dit-elle. En architecture d'intérieur il était obsédé par
l'aspect fonctionnel, mais indifférent au décor, fanatique de la plomberie,
mais piètre juge en matière de peinture. Il manque à la maison une touche
féminine - Moura Budberg, sa maîtresse au moment où il la prit à bail en
1935, a eu la sagesse de refuser de l'épouser ou de cohabiter avec lui, et
il n'y a pas eu d'autre femme pour lui succéder. Même son bureau, auquel
Rebecca jette un coup d'oeil en se rendant aux toilettes - table d'acajou
avec lampe de travail à abat-jour vert sur un lourd pied ziggourat, encrier
assorti et bloc buvard relié en cuir - pourrait être le cabinet d'un
président de banque ; sauf que sur la surface polie du bureau sont posées
deux chemises garnies de papier ministre, froissées et écornées par l'usage,
chacune d'un côté du bloc buvard, qui semblent renfermer des manuscrits
plutôt que des comptes.
Dans les cabinets du rez-de-chaussée elle examine son visage de
quinquagénaire, à l'affût de nouvelles rides, et peigne sa chevelure
grisonnante. Elle rafraîchit son rouge à lèvres, se poudre le nez, et d'un
doigt humecté lisse ses sourcils, se sentant un peu ridicule face à cette
manifestation de vanité - mais on veut paraître à son mieux quand on revoit
un ancien amant, même s'il est malade et mourant. Elle note avec amusement
la présence d'un carnet et d'un crayon sur un meuble de rangement à côté des
toilettes - H. G. a toujours eu des carnets éparpillés çà et là dans toutes
les maisons qu'il a occupées, au cas où quelque pensée lui traverserait
l'esprit, qu'il pourrait griffonner à la hâte avant de l'oublier. Elle
feuillette furtivement le carnet, mais les pages sont vierges.
Le petit salon où on l'invite à se rendre quand H. G. est prêt est plus
intime que la salle de réception. Elle trouve celui-ci abattu, inquiet et
déprimé. Il est affalé dans un fauteuil près d'un feu de poussier qui brûle
sans flamme, ses pieds taille trente-huit élégamment chaussés de pantoufles
pointant sous la couverture qui lui couvre les jambes. Anthony et Gip l'ont
informé qu'il a un cancer, mais n'ont pas fait état du pronostic. "Je veux
savoir pour combien de temps j'en ai, dit-il plaintivement, mais ils
refusent de me le dire. Même Horder refuse.
- C'est parce qu'ils ne savent pas. Tu as peut-être encore des années devant
toi, Jaguar." Il y a longtemps, lorsqu'ils étaient amants, ils s'appelaient
"Jaguar" et "Panthère", au lit et dans leur correspondance, et elle se dit
que le sobriquet lui fera plaisir, mais elle constate, à son grand désarroi,
que cela ne fait que le bouleverser davantage. Une larme jaillit de son oeil
et roule le long de sa joue, puis va se perdre dans les méandres de sa
moustache, aujourd'hui grise et plutôt rebelle, avec laquelle, dans la fleur
de l'âge, il aimait à chatouiller les parties intimes de son anatomie.
"Je ne veux pas mourir, Panthère, dit-il.
- Personne ne veut mourir.
- Je sais - mais il le faut. Bien sûr qu'il le faut. J'ai honte de
moi-même." Il se redresse dans son fauteuil, sourit, tend le bras et lui
serre la main. "Merci d'être venue me voir.
- Je t'ai apporté des oeufs de la ferme.
- C'est gentil, dit-il. Et comment vas-tu ? Tu écris ?
- Seulement pour les journaux. Je ne parviens pas à me concentrer sur
quelque chose de plus important, avec cette guerre qui n'en finit pas...
- Tu as réussi à terminer Agneau noir et faucon gris malgré le Blitz.
- Il le fallait. Mais cela m'a totalement épuisée. Et toi, Jaguar ?
- Oh, je brasse du papier. J'ai deux ou trois choses en train, mais je ne
suis sûr d'en terminer aucune. Personne ne s'intéresse à moi aujourd'hui, de
toute façon.
- C'est ridicule", dit Rebecca obligeamment.
H. G. demande des nouvelles de Henry. "Il travaille très dur au ministère
sur des projets de reconstruction après la guerre, répond Rebecca. Je dois
dire qu'il est très rassurant de le voir envisager l'avenir avec une telle
confiance, alors que tous autant que nous sommes passons notre temps à nous
ronger les ongles au sujet du présent. Et comment va Moura ?
- Elle est à la campagne, chez Tania.
- Est-elle venue te voir depuis... ?
- Depuis que Horder a prononcé la condamnation à mort ?
- S'il te plaît, Jaguar !
- J'ai demandé à Gip qu'on ne mette pas Moura au courant tout de suite. Elle
n'est pas au mieux de sa forme ces derniers temps, et elle est partie chez
Tania pour se reposer et récupérer. Je ne veux pas la bouleverser
inutilement.
- Je vois." Rebecca médite cette information, ne sachant si elle doit se
sentir flattée ou utilisée d'avoir été appelée pour réconforter H. G. dans
sa détresse, de préférence à sa maîtresse - si c'est bien là ce qu'est
encore Moura. La nature exacte de leur relation a toujours été une énigme -
pour H. G. tout autant que pour les autres, prétend-il.
"Pour être honnête, explique-t-il, je craignais que si on lui disait que
j'étais en train de mourir elle allait me sortir illico son âme russe, comme
un personnage de Gorki, se saouler au cognac et devenir sentimentale, et me
déprimer plus encore que je ne le suis déjà.
- Je vois ce que tu veux dire", dit Rebecca avec un sourire.
David Lodge
David William Frederick Lodge est né en 1935 à Londres, dans une famille
catholique modeste. Après des études à l'université de Birmingham, non loin
de laquelle il réside toujours, David Lodge y enseigna la littérature
anglaise de 1960 à 1987. Ses romans décrivant avec causticité les milieux
universitaires et littéraires - de Changement de décor (1975) à Pensées
secrètes (2001) - sont précisément ceux qui le rendront célèbre. Ce
romancier prolifique est également un essayiste émérite qui analyse de
longue date les mécanismes de la fiction et de l'écriture.
http://www.lexpress.fr/culture/livre/un-homme-de-temperament-de-david-lodge_1068803.html
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