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2015 Casemate n°79 : Loustal passe au verre


Casemate n°79, mars 2015

P.4-10 De Christie’s à Sotheby’s, la BD s’arrache aux enchères
P.12-13 Animation, jeux vidéo, comics : l’avènement de l’art ludique
P.14-16 Revel pianote de concert avec le génie Glenn Gould
P.18 Où iront les bénéfices du Casemate spécial Charlie ?
P.20-21 Journorama spécial Charlie Hebdo…
P.22 … suivi par notre traditionnelle revue de presse de l’actu BD
P.24-29 Simon Hardy : quand la ligne claire se frotte au Vésuve (+4 planches)
P.30 Le courrier du mois à la loupe
P.32-27 Swolfs réveille son Prince de la nuit (+4 planches)
P.38-43 Quand McCloud vieux et jeune se rencontrent, ça donne Le Sculpteur (+4 planches)
P.44-49 Grenson se transforme en magicien avec Niklos Koda (+4 planches)
P.50-59 Une femme, douze hommes, un pari. Dermaut frappe fort avec Rosa (+4 planches)
P.60-70 Une sélection de 39 BD à découvrir en mars
P.71-73 Agenda : les 213 sorties de mars, les festivals et les expos
P.74-79 Centaurus, nouveau berceau de l’humanité selon Leo (+4 planches)
P.80-85 Gibelin se souvient des résistants belges avec Typhoon (+4 planches)
P.86-91 Route 78 : cocktail d’anecdotes américaines avec Cartier (+4 planches)
P.92-95 Loustal se renouvelle, avec la peinture fixée sous verre
P.96-97 De Moor tombe le masque avec Ensor
P.98 Les techniques secrètes des grands maîtres de la BD : ce mois-ci, Gradimir Smudja

http://casemate.fr/category/casemate-le-magazine/

 

Lorsqu’il retrouve le jardin de la peinture, Jacques de Loustal renouvelle sans cesse sa technique, tout en gardant un style identifiable entre tous. Sens de la composition et de la couleur se combinent, guidés par un œil absolu. A son plaisir de jouer avec les techniques, l’artiste ajoute le plaisir d’explorer les possibilités de nouveaux supports. Après Huiles sur toiles, la Galerie Champaka Paris présente une exposition inédite basée sur la technique du « fixé sous verre », mais aussi des « peintures grattées ».

Senegal Behind Glass: Images of Religious and Daily Life (Annales. Sciences Humaines, V. 143.)
Series: Annales. Sciences Humaines, V. 143.
Hardcover: 168 pages
Publisher: Prestel Pub (August 1994)
Language: English
ISBN-10: 3791314246
ISBN-13: 978-3791314242
 

 

 

 

Je pose ma plaque de verre sur mon dessin et le décalque mon dessin à l'envers, commençants par le noir”

Il y a plein de petits pots de peinture ouverts partout. Et j’ai de l’essence plein les mains”
 

Loustal passe au verre

Amoureux de techniques différentes, Loustal présente cette fois ses peintures « fixées sous verre ». Un travail qu'on effectue à l'envers et dont sont friands les Africains qui déclinent ainsi à l'infini la couverture de Tintin au Congo...

Qu'est-ce que les fixés sous verre ?

Jacques de Loustal : Une vieille tradition de la peinture. On en retrouve au
XVIIIe siècle (ou 18e siècle)  dans des motifs religieux ou des ex-voto. Ma rencontre avec cette forme de peinture s'est faite grâce à des peintres africains. Ils la pratiquent notamment au Sénégal ( http://www.au-senegal.com ) . Dans ce pays, mais aussi au Bénin, au Congo, une de leurs spécialités est de décliner la couverture de Tintin au Congo. J'en ai acheté plusieurs lors de mes voyages.


Artiste: Touré Bamba TinTin a Tombouctou


Loustal


Comment procédez-vous ?

Aucun repentir n'est possible avec cette technique. Je fais une photocopie miroir de mon dessin, je pose ma plaque de verre dessus et décalque mon dessin à l'envers. Je peins d'abord le noir et, avant d'avoir terminé, je signe à l'envers. Je mets les cou-leurs une fois que le trait noir est fait. Des couleurs très opaques. Selon les pigments, il faut passer plusieurs couches. Si l'on dis-cerne les traits de pinceau, c'est moins beau.

Quels plaisirs vous apporte cette technique ?


La trace du noir est très plaisante sur cette surface incroyablement lisse qu'est le verre. Peindre ces surfaces n'a rien à voir avec le travail à l'aquarelle ou à la peinture à l'huile. Il faut poser ses couleurs. Et quelle satis-faction, à la fin de la journée, quand on retourne la plaque, de découvrir le dessin tel qu'il sera montré. Au début, du côté où on travaille, on ne discerne que de grosses taches de couleurs les unes à côté des autres. J'ai essayé avec un verre antireflet, mais ça n'allait pas. Le reflet, la brillance font partie du langage de ces objets.

Est-ce une technique très pratiquée ?

Sur Internet, on s'aperçoit qu'il s'agit d'une forme de peinture vécue comme une activité de loisir, un peu comme le macramé. Pour certains, je me demande encore quelles méthodes leurs auteurs ont bien pu employer ! J'aime découvrir de nouvelles techniques qui vont m'amener à un autre genre de représentation. Les images que j'ai en tête, je les pense en fusain, à l'aquarelle, en peinture, etc.

C'est l'Idée qui dicte la technique à utiliser ?

Elle doit être la plus adaptée possible au dessin désiré. Ici, il faut un trait très épais et des motifs épurés.

Dans cette exposition, on retrouve des peintures grattées. Rien à voir ?

Ces techniques sont cousines. J'ai commencé ce genre de peinture pour me délasser après le travail à l'huile, assez minutieux. La peinture grattée, c'est un peu l'inverse. Je pose des masses de couleurs un peu floues, puis, avec un bambou, je dessine




Quand je travaille au fusain, je suis beau-coup plus zen. Il n'y a que le fusain et la feuille blanche de papier. Quand je fais des fixés sous verre, c'est tout un bordel, avec des petits pots de peinture ouverts partout. Et l'essence. J'en ai plein les maire. L'aquarelle, elle aussi, est beaucoup plus zen. On est dans l'eau, les gros pinceaux, le papier mouillé, c'est autre chose. Et puis il y a l'huile. Là, je travaille en vertical, donc l'engagement physique n'est pas le même. J'aime bien explorer tous ces trucs, diversifier mon travail. J'ai essayé beaucoup de méthodes, et j'en essaierai d'autres.

Toutes vous font envie ?

Non, quand même pas. Je ne toucherai pas, par exemple, à la carte à gratter. Tous les dessins à la carte à gratter se ressemblent un peu. Avec un artiste au-dessus du lot Thomas Ott. Un génie dam le genre. Donc, cette technique je la regarde, je l'apprécie, mais je ne pense jamais m'y frotter.

Le travail sur cuivre vous a fait changer votre travail à la plume. La peinture sous verre a-t-elle aussi influencé votre travail ?

Il y a des tas de passerelles. A une époque, je réalisais tous mes dessins de voyages directement au pinceau. Découvrir la peinture sous verre m'a donné envie de travailler durant mes voyages selon cette méthode. De la même façon, quand j'en avais assez de dessiner avec ces pinceaux durant mes voyages, je m'étais remis au crayon. Et, du coup, réalisé quelques BD au crayon. Dans la gravure, les toiles grattées, je trace les lignes avec un petit morceau de bambou. Exactement comme quand je gravais du cuivre. Chaque tech-nique enrichit l'autre.

Pas de préférence ? Le choix dépend toujours des choses à représenter, du moment ?


Quand le ne fais pas de BD, je peins. Puis j'en ai marre et passe à autre chose. J'adore faire de grands fusains, de grands paysages urbains. Ma prochaine exposition leur sera entièrement consacrée. J ai besoin de changer. Tous ces fixés sous verre... au bout d'un moment, je n'ai pas été mécontent de tout ranger !

Dans Casemate 4, vous faisiez le rapprochement entre le travail au fusain et un maçon qui monte son mur.

À l'époque, je dessinais beaucoup de murs. J'aime le fusain pour son côté très spontané, très énergique, pas laborieux du tout. Vous trouverez beaucoup de dessins au fusain dans mon dernier livre, Esprits d'ailleurs, mais ils auraient pu aussi bien
être faits à l'encre de Chine et â la pl…, Sauf que ce serait mortel, j'ai passé I.. Avec le fusain, c'est extraordinaire. Il.. de penser qu'on est en train de des … de l'eau, un nuage, un arbre ou une p… et le fusain obéit.

Certaines de ces femmes vues de face, je serais incapable de les dessiner de profil. Ou l'inverse.
 


À quel métier associeriez-vous le fixé sous verre ?

À un travail qui comporte beaucoup d'étapes artisanales. Une fois qu'on a tracé le dessin au noir et qu'on sait où on va, grâce à Photoshop je pourrais laisser la suite à des assistants. Je n'irais pas jusqu'à faire le parallèle avec le peintre en bâtiment, mais il y a vraiment un côté artisan dans toute une partie de l'élaboration de ces fixés sous verre. Ce qui fait aussi qu'au bout d'un mois, on est content de passer à autre chose l Mais les moments qu'on y consacre sont des moments rares. Je suis toujours pressé de me rendre à mon atelier, le lendemain matin, pour retourner à l'endroit ma peinture enfin sèche et l'encadrer.



Alterner les techniques, c'est conserver une certaine excitation ?

Oui, et laisser parler le matériau. Parfois, on aboutit à autre chose que ce que l'on imaginait. Un peu comme la sérigraphie. Quand on donnait une gouache, à l'époque, au sérigraphe, on lui laissait toujours une part d'interprétation.


Vous alternez les techniques, mais aussi le solaire et le sombre.


Je suis influencé par tous les peintres allemands Beckmann, Otto Dix, et aussi par les Gauguin, les Modigliani, les Matisse, les Hockney... J'ai besoin de cela.

Quelle que soit votre technique, on reconnaît votre patte.

À la base de toutes ces techniques, il y a un dessin, toujours le même. Quand je commence une BD, je fais mes crayonnés des premières planches avec mon dessin • naturel ». Une fois que j'ai cette base, j'essaie de nombreux outils différents à la table lumineuse, pour voir ce qu'ils vont rendre. Mais à la base, les personnages, par exemple, sont toujours un peu pareils. Il n'y a pas de gros nez !

Trouvez-vous difficile de raconter quelque chose en une image ?


C'est par cela que j'ai commencé ! Il m'intéressait de montrer une situation en une image, et d'imaginer ce qu'il pouvait se passer après. Une image accompagnée d'une ligne de texte. C'est ce que j'ai fait, à mes débuts, dans Rock & Folk. Je suis venu à la BD uniquement parce qu'à la fin des années soixante-dix, ce qui se passait dans Métal Hurlant, par exemple, n'était pas très loin de ce que je faisais avec mes images légendées. Du coup, tout seul puis avec Philippe Paringaux, je me suis mis à dessiner des histoires courtes. On me qualifie parfois d'auteur de BD. Non. Je suis un dessinateur de BD qui n'invente jamais d'histoires. Je les mets simplement en scène. J'aime développer les ambiances, les atmosphères. Des tas d'images, de situations me génèrent plein d'idées, d'ambiances, de personnages évoluant dans des intérieurs. Mais je suis infoutu de développer ce qui se passe entre eux ! C'est pour cela que j'ai toujours travaillé avec des écrivains qui, eux, savent inventer.

L'expo montre une série de portraits de femmes. Existent-elles ?

Non. C'est un travail de graphisme sur les visages, les lignes. J'adore jouer avec les différents codes graphiques du visage, le nez, la bouche, les yeux, la forme autour... C'est presque de la calligraphie. Ces portraits sont des dessins très spontanés. Le problème est de varier les visages tout en conservant une sorte d'esthétique. Pas toujours évident. Ça va encore quand je les représente une seule fois. Certaines de ces femmes vues de face, je serais incapable de les dessiner de profil. Ou l'inverse. Je ne pourrais tourner autour. Cela reste de la 2D.



Pourquoi donner des prénoms à des femmes qui n'existent pas ?

Il faut bien titrer les tableaux, et je ne voulais pas mettre Portrait 1, Portrait 2, etc. Suzanne, Nina, Mathilde... Un nom fait un peu rêver. J'évite de mettre des prénoms de gens que je connais trop.

Qu'est-ce que Mon film » ?

Une revue des années trente-quarante sur le cinéma. J'en ai énormément de numéros. On y trouve très souvent en couverture des couples d'acteurs tirés de films. Une source qui m'a énormément inspiré, que j'ai beaucoup utilisée dans mon travail. J'ai donc voulu que • Mon film • soit présent dans cette exposition.


On y découvre aussi de nombreuses scènes de bars.

J'aime les rapports qui s'y établissent entre les gens : une sorte d'attente, de désir d'inconnus assis les uns à côté des autres. J'aime la structure, la lumière, les gens qui se regardent, les attentes... Allez-vous les observer sur place ? Je m'inspire beaucoup de photos de bars d'une certaine époque, celles de Doisneau par exemple. Ou de peintures, comme celles de Hopper. Je ne suis pas du tout le genre pilier de bar qui débite des conneries à une barmaid. Mais j'aime bien ces gens.


J'aime les.. http://www.au-senegal.com/les-peintures-sous-verre-art-populaire-du-senegal,066.html?lang=fr .. structure, la lumière, les gens qui se regardent, les attentes...


Vous appréciez aussi les scènes nocturnes.

J'adore, même à l'aquarelle, travailler la nuit, les lumières électriques. Pour tout ce qui est peintures grattées, on y est un peu obligé. Cette technique nécessite des cou-leurs très denses. Il y a beaucoup de pas-sages nocturnes dans mes BD, elles ajoutent tout de suite un mystère supplémentaire. Aujourd'hui, la journée est vraiment pourrie. Dans mon atelier, il fait tout gris. Eh bien, dès qu'il va faire nuit, tout va s'allumer, tout va devenir beaucoup plus beau. Les villes, je préfère les voir la nuit. Par contre, le soleil va très bien aux grands Paysages.

Grands paysages, portraits, c'est le même plaisir ?

Ça dépend la manière dont je les peins. Travailler des personnages à l'huile m'est beaucoup plus complexe que les grands paysages épurés que j'ai présentés lors de ma dernière expo. Et plus long. Ma récompense, c'est qu'ensuite, pour moi, le personnage existe. De toute façon, je ne peins que des choses que j'ai plaisir à peindre. La peinture reste une recherche personnelle. Je n'accepte jamais de commande en peinture sur toile, car je ne sais jamais où je vais. À quoi, au final, elle va ressembler. Pour une commande, j'utilise par exemple l'aquarelle. Sans problème.

Ne pas maîtriser le résultat, est-ce rageant ou excitant ?

Il faut laisser parler le matériau. Je fais tout cela pour me surprendre. Si j'utilise un des-sin différent dans chaque album de BD, c'est pour ne pas m'emmerder. Quand je commence un 60 planches, si dès la première je sais qu'il va ressembler à tel ou tel album précédent, je n'aurai pas de sur-prise. Et je déteste cela.

Travaillez-vous sur un album ?

Oui. J'en suis à cette période excitante durant laquelle je mets au point une nouvelle façon de dessiner, avec de nouveaux outils. Pour les deux précédents albums, j'étais revenu à la plume. J'en ai eu marre. Aujourd'hui, ce que je fais se nourrit de mon travail au fusain, au crayon, aux mines grasses, avec un peu de noir, un peu de pinceau. Le tout va être photocopié de façon à ce que ces noirs différents soient uniformisés. Ensuite, je vais aquareller ce Black Dog, une histoire très noire de Götting. Pour Casterman. Ce qui me branche surtout, ce sont les ambiances. J'avais envie de me plonger dans tout le cinéma noir américain des années soixante-dix à quatre-vingt.



Une exposition, pour vous, est-ce presque de la routine ?

J'en ai fait un certain nombre, mais il reste parfois une sorte d'angoisse. Ce genre d'expo n'a rien à voir avec celles où on retrouve les originaux d'illustrations, de dessins déjà publiés ou de BD. Là, émotionnellement, je m'en fous. En revanche, chez Champaka, je montre des choses que personne n'a vues. Ça, c'est angoissant. Mais aussi plus excitant.

Propos recueillis par Sonia DÉCHAMPS