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LIRE 5 avril 2003
Loustal: Le
voyageur immobile
AUTEUR: Sébastien LAPAQUE
C'est l'année Simenon. Toute conversation avec Jacques de Loustal
commence inévitablement par quelques considérations sur le maître
liégeois.
- Le Témoignage de l'enfant de chœur et Maigret et l'inspecteur
Malgracieux, qui viennent de paraître, portent à sept le nombre
d'histoires de Simenon que j'ai illustrées : un roman, Touriste de
bananes, et six nouvelles. Les possibilités s'épuisent.
Simenon n'a pas écrit beaucoup d'autres nouvelles mettant en scène
Maigret...
Dommage. Pour orner les enquêtes du plus célèbre commissaire de la
littérature, Loustal avait trouvé un style. Des dessins en noir et
blanc, à la plume, rehaussés au crayon, chacun inspiré d'une phrase
reprise au verso.
- Je pourrais m'intéresser à des romans exotiques comme le Coup de
lune ou Quartier nègre, mais ils sont un peu longs, et je ne veux
pas couper. Je veux respecter la chose écrite. C'est pourquoi je
n'ai pas voulu d'adaptation en bande dessinée. Il reste des livres
comme La neige était sale, que j'aime beaucoup, mais il y a des
passages entiers d'introspection difficiles à illustrer.
Dans son atelier situé au bord du canal Saint-Martin, assis au fond
d'un canapé de velours, Loustal ' tel qu'en lui-même enfin
l'éternité le change ' : précis, songeur, réfléchi.
A certains moments, il lui arrive de faire silence, de se lever et
de sortir un grand fusain sur lequel il est en train de travailler
ou de feuilleter une collection de dessins avec nonchalance,
exhibant avec une joie d'enfant ceux dont il est le plus fier ; à
moins qu'il ne déniche sur son bureau un objet ou une carte postale
ramenés d'un voyage.
Ce garçon est un contemplatif. Comment le cacherait-il ? Les maîtres
de l'immobile ont sa faveur : Hopper, Hockney, Balthus. A leur
suite, il aime traquer l'instant où tout se joue, la seconde où tout
est dit. Il y a quelque chose de géométrique dans l'art de ce
diplômé en architecture, même s'il reste obstinément figuratif.
Instinctif, il revendique l'exemple des artistes populaires
africains et océaniens.
A bien des égards il est aussi autodidacte qu'eux. |
- J'ai dû participer en tout et pour
tout à quatre séances de nu lorsque j'étudiais aux Beaux-Arts.
Loustal est un maître de la stupeur, nourri de beaux horizons, de
lectures, de rêveries. Un quatrième Carnet de voyages paraît au
Seuil. L'oeuvre peinte et dessinée d'un homme qui s'est beaucoup
promené. Né trop tard dans un siècle trop vieux, il s'est bricolé
une technique du vagabondage. Elle seule peut calmer les nostalgies
actives qui remuent au fond de son imagination. Dans les bars de
Lima, sur les traces de Gauguin dans les mers du Sud, au bord de la
Rivière des parfums à Hué, ses crayons et ses cahiers de croquis ne
l'ont jamais quitté.
- En voyage, le détail d'un paysage,
un animal, un coin de rue, une heure agréable de la journée
déclenchent l'envie de dessiner. C'est un réel plaisir, qui me
permet à la fois de goûter le génie d'un lieu et de me l'approprier.
Mais je n'ai pas la prétention d'être reporter. Mes carnets sont des
cahiers d'impressions.
Plus tard, ces petits croquis à main levée et ces aquarelles prises
sur le vif donnent naissance à des illustrations, des tableaux.
Beaucoup d'huiles sur toile encombrent l'atelier de Loustal,
accrochées au mur ou posées à même le sol. Des nus, des paysages, le
portrait en pied d'un saxophoniste.
- Je peins régulièrement, en partant sans savoir où je vais. C'est à
la fois excitant et douloureux. Certains jours, il m'arrive de
penser à une toile et d'être pressé de revenir à mon atelier. La
peinture est une discipline complexe pour quelqu'un qui vient du
dessin. Que faire de la ligne ? Si on la garde et qu'il s'agit
simplement de remplir des formes de couleur, autant faire de grandes
aquarelles. Après des années de travail, j'en suis toujours à
vouloir régler ces histoires avec la ligne. A certains moments, je
crois avoir trouvé. Mais il suffit d'une exposition comme celle que
Beaubourg a consacré à Beckman pour tout remettre en cause.
Loustal aura un jour 50 ans, on songera toujours, en parlant avec
lui, au titre d'un de ses albums scénarisés par Philippe Paringaux :
Un jeune homme romantique.
Un Philippe Paringaux que le dessinateur est allé débusquer à l'île
de Ré pour le convaincre de rédiger les petits textes qui
agrémentent les tableaux et les dessins rassemblés dans Iles et
elles. Le bilan de plusieurs années de travail, tendre, exotique,
ironique, intime et malicieux. Signé Loustal.
- Deux livres de Jacques de Loustal : - Carnet de Voyages
(2000-2002), Le Seuil, 120 p., 23 euros. - Iles et elles, Casterman,
88 p., 22,90 euros. - Et Simenon illustré par Loustal : - Maigret et
l'inspecteur Malgracieux, Carnets Omnibus, 110 p., 9,15 |