1995
Né
de fils inconnu
Titre: Né de fils inconnu
Auteur: Patrick Raynal
Couverture: Jacques de Loustal
Editeur : Albin Michel
Collection : LES ROMANS FRANCAIS
Genre : ROMAN CONTEMPORAIN
Format : Broché - 240 pages
Langue : Français Éditeur :
Albin Michel (7 mars 1995)
ISBN : 2226077200
(Le Livre de Poche, 1997)
Nice. Le commissaire Matas, ex-gauchiste douloureusement rangé, noie sa
solitude et son encombrante obésité dans tous les bars de la ville. Un jeune
braqueur s'en prend aux petits commerçants tandis que Matas apprend qu'il
est le père d'un fils aujourd'hui âgé de vingt-trois ans. Le jeune homme a
disparu quand les braquages ont commencé... Matas tremble devant cette
coïncidence tandis qu'un journaliste additionne disparition et braquage pour
étaler en première page l'histoire de ce commissaire. Un affrontement
d'homme à homme doublé d'une quête poignante avec une conclusion
complètement inattendue.
Un vrai roman noir ! Un climat pesant et la signature d'un grand maître du
genre : Patrick Raynal dirige la série noire depuis 1992. L'intrigue est
parfaitement maîtrisée, la ville de Nice décrite sous un jour nouveau et
Raynal raconte merveilleusement bien l'émouvante solitude de ce flic obèse
dont le passé d'anar ne cesse de sauter au visage. Superbe.
Le Monde 21 Avril 1995
Flics et fils
Comprimé dans son falzar, empêtré dans ses souvenirs, Ray Matas a grossi
autant qu'il s'est délesté de ses illusions. Ancien mao devenu flic de
province, il traîne sa carcasse et sa mémoire comme un boulet, de matins
sales en nuits poisseuses. Solitaire, cynique et alcoolo. « Trop gros, trop
flic, trop sinistre ». Un « ex » universel. Des femmes qu'il n'a pas su
aimer, des chimères politiques, de la vie qu'il a fuie. A cinquante balais,
Ray Matas est un vieux flic orphelin et narcissique, ressassant avec
complaisance la cacophonie grinçante de ses nostalgies fatiguées.
Jusqu'au jour où, brutalement, son passé lui revient comme un boomerang. « A
quoi ça sert de se supprimer si on ne peut pas supprimer aussi ses traces ?
», se demande-t-il au moment même où celles-ci vont s'avérer beaucoup plus
considérables qu'il ne pouvait l'imaginer. Quand une de ses « ex », passée,
comme tant d'autres, aux profits et pertes de ses engagements militants,
réapparaît pour lui annoncer qu'il est le père d'un fils de vingt- trois
ans. Un fils comme un double, qui l'a longtemps cherché et qui s'obstine à
mettre ses pas dans les siens. Chef de bande, militant d'extrême gauche,
autoritaire et violent : « Un foutu gauchiste. Un rêveur boiteux. Un de ces
types qui finissent par regarder le monde le long du canon d'un flingue. »
Un cow-boy romantique et dérisoire, disparu depuis un mois quand son père
apprend son existence et qui semble ne faire qu'un avec le motard fou que
toute la ville recherche et qui rançonne les petits commerçants sans
craindre de les éparpiller au calibre 12 sur les murs de leurs échoppes. Un
fils comme un pavé dans la gueule de son flic de père. Car, tout au long de
la poursuite qui s'engage alors, implacable et meurtrière, c'est à son
propre visage que sera confronté Matas. Et ce n'est qu'au terme de cette
course éperdue qu'il pourra enfin accoucher de lui-même, vieux flic
orphelin, né de fils inconnu.
Patrick Raynal a mis beaucoup de lui-même dans son dernier livre. Nice, une
fois de plus, sa ville natale avec laquelle il entretient une liaison
tumultueuse, son passé dans les rangs de la gauche extrême, son amour des
motos et surtout sa fascination pour le polar d'outre- Atlantique. Découpé
en séquences courtes toujours ponctuées d'une phrase de chute, brève et
incisive, Né de fils inconnu a le punch et la rapidité d'un certain style
américain. Au risque cependant d'une inévitable sécheresse. Un peu à la
manière de ces montages de plus en plus serrés, qui gagnent en rythme et en
efficacité ce qu'ils perdent en épaisseur et en émotion.
Jean-François Melchior, le commissaire imaginé par Alain Demouzon, n'a pas
grand- chose à voir avec celui de Patrick Raynal. Et pourtant, ils se
ressemblent beaucoup. Lui aussi est un flic contre nature, silhouette
épaisse et coeur boiteux, vieil ours solitaire submergé par le trop-plein de
sa mémoire : « Melchior sentait que tout était joué et que les songes
étaient inutiles. Il ne serait jamais plus ce qu'il avait été. Il ne serait
pas ce qu'il avait rêvé d'être. Et il ne savait même pas ce qu'il était. »
Mais ce qui est sûr, c'est que Melchior n'est pas un cow-boy. La moto, les
flingues sont à mille lieues de son univers. Melchior est « un flic à pieds
plats, un traîne-patins, un godillot à l'ancienne ». Un fonctionnaire de
police que la routine des enquêtes n'effraie pas, mais qui appréhende
encore, après trente ans de métier, ce qu'il va trouver derrière les portes
: les blessures enfouies, la vie qui se déglingue, les violences hors de
raison, le temps qui passe et la mort qui gagne.
Guère plus vieux que le héros de Patrick Raynal, Melchior n'a pas non plus
les mêmes nostalgies. Lui, c'est Gabin plutôt que Godard, le cinéma de
quartier plutôt que les salles d'art et essai. Le jazz plutôt que le Velvet
Underground. Melchior, ce n'est pas à la dope qu'il se shoote. Ce qui le
fait planer, c'est le fumet du veau aux carottes, l'odeur du savon noir et
du bois ciré. Ce ne sont pas les années 70 qu'il regrette, mais la France
éternelle d'avant le grand basculement d'après-guerre, quand, sur les bords
de la Marne, le Blue Moon s'appelait encore La Marine. Ce n'est pas après sa
jeunesse qu'il court, c'est son enfance qui le poursuit et qui va, lui
aussi, brutalement le rattraper. Quelque part en banlieue parisienne, sur
les docks de Fontenay, où s'entassait autrefois le charbon déchargé par les
péniches. Une jeune femme y est découverte, une nuit, le ventre ouvert. On
lui a volé son bébé, en pratiquant une césarienne sauvage. Et voilà que
cette histoire, ce lieu font resurgir une seconde énigme. Celle du «
bonhomme goudron » qui coinça, un jour, il y a bien longtemps, la trémie
d'un élévateur. Un cadavre momifié, minuscule et recroquevillé, enterré avec
son mystère sous des tonnes de charbon. Et qui va, en se révélant, sortir de
sa longue hibernation un vieil ours solitaire, engagé dans la police pour
expier un sentiment confus de culpabilité qui remonte à l'enfance...
Avec Dernière station avant Jérusalem, publié l'an dernier à la « Série
noire » (1), Melchior marque le retour d'Alain Demouzon au roman policier,
après dix ans d'absence. Et confirme avec éclat, l'étendue de son talent.
Emotion, épaisseur des personnages, vérité des situations, qualité
d'écriture et rigueur de construction. Passé maître dans l'art de créer les
atmosphères, Alain Demouzon est un formidable raconteur d'histoires,
sensible et généreux. Et Melchior un des meilleurs polars publiés depuis le
début de l'année.
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