Interview
Jacques de LOUSTAL
1.
On a découvert vos premiers dessins dans
«(A suivre)» et « Métal Hurlant il a y une trentaine
d'années. Expliquez-nous votre parcours pour en arriver
lá.
J'ai d'abord dessiné dans des fanzines
comme "Cyclone" ou "Antirouille", puis j'ai commencé à
publier, vers 1977, quelques illustrations dans "Rock &
Folk", puis des B.D, j'y ai rencontré Philippe
Paringaux, alors rédacteur en chef, et nous avons
commencé à collaborer ensemble. Ii m'écrivait des
petites nouvelles qui ont récemment été rééditées dans
l'album "La nuit de l'Alligator". A l'époque, il y avait
cette connection "Rock & Folk"/ "Métal Hurlant" et nos
histoires sont passées dans "Métal".
ils y a eu deux albums, puis je suis
parti en coopération comme architecte au Maroc en 1992,
et en rentrant c'est avec "A SUIVRE" que l'on a entamé
nos grandes histoires, comme "Cœur de sable", "Barney et
la note bleue", etc... L'idée "Roman en B.D" de "A
SUIVRE" nous convenait parfaitement.
2.
Dès vos premiers récits, on sent dans vos
histoires une forte connotation musicale. On y voit des
musiciens, des instruments, des pianos-bars. Pouvait-on
y voir l'influence de votre amitié avec Philippe
PARINGAUX ?
Non, il se trouve que la musique (et son
image) est très importante pour moi, c'est pour cela que
j'ai tout d'abord présenté mes dessins à "Rock & Folk",
revue que je sentais bien, et c'est une des raisons pour
lesquelles nous nous sommes bien trouvés avec Paringaux.
3.
Des « voix-off » dans de gros « pavés de
texte », placées au-dessous de vos dessins, furent dès
le départ votre marque de fabrique. On vous a reproché
que cela donnait un côté un peu rétro à vos histoires,
mais vous ne vous êtes pas laissé influencer et avez
persévéré. Considérez-vous que cette particularité fait
aujourd'hui partie intégrante de votre style ?
J'aime le rapport image-texte, et j'aime
que l'écrivain-scénariste avec qui je travaille puisse
donner toute sa mesure, sans se limiter á des dialogues.
J'apprécie le style, la musique de l'écriture.
Paringaux, Charyn, Coatalem, tous sont des stylistes et
la façon dont ils écrivent leurs histoires m'importe
parfois plus que l'histoire en elle-même.
4.Dans les années 80, votre dessin est un
peu un OVNI. On a du mal á situer vos références, à
trouver une filiation entre votre style et ceux de vos
illustres prédécesseurs. Quelles ont été vos influences
?
Multiples, provenant du cinéma de la
peinture, de la photo, de l'illustration et de la B.D :
Hergé, Crumb, Moebius, Munoz...
5.Beaucoup de vos histoires se passent à
l'étranger. Les voyages y jouent un grand rôle.
Tiennent-ils également une grande place dans votre vie
privée
J'aime voyager, j'ai le gout des cartes
et des atlas, je me dois de connaître le maximum de pays
du globe. Toute occasion de voyager est donc bonne à
prendre, le but est d'en rapporter des images et des
impressions, des sensations.
6.Pour en revenir un peu aux ambiances de
vos albums, on a l'impression que vos personnages vivent
«hors saison». Les stations balnéaires ont l'air
désertées, les rues sont Vides. Que vous inspirent ces
lieux
Je suis un peu agoraphobe et j'aime
l'atmosphère de ces endroits délaissés, désertés,
chargés de souvenirs.
7.
Rapidement, des planches en noir et
blanc, vous êtes passé à la couleur directe. Et depuis,
vous avez déployé tout votre talent dans la mise en
couleur. Expliquez-nous votre technique de travail ;
quels sont vos outils et matériaux préférés ?
Après avoir terminé l'esquisse poussée,
j'encre à la table lumineuse sur papier aquarelle. Comme
ça, je n'ai pas à gommer le crayon et abîmer le papier,
puis j'utilise soit des aquarelles, soit des encres, en
fonction des couleurs recherchées. Depuis quelques
temps, j'ai redécouvert le dessin au crayon donc j'encre
au crayon, je photocopie pour noircir le trait, puis je
colorie à l'encre (voir les deux derniers albums).
8.
En parallèle de vos albums de Bande
Dessinée, vous réalisez régulièrement des Carnets de
voyage. Que vous apporte cet exercice de style » Le
dessin de voyage est un dessin de complète liberté, je
suis libre de choisir le sujet, le format, l'outil, le
support, et ces expérience alimentent le travail
d'illustrateur (par exemple dans le dessin au crayon,
voir plus haut).
9.
Très vite, on a vu vos dessins dans des
journaux nationaux et internationaux (New-Yorker, Lire,
Senso, Libération, Le Figaro, Géo...), en dehors du
monde de la Bande Dessinée. Comment avez-vous analyse
cette notoriété ?
Tout en restant dans le domaine de l'image, je partage
mon temps, au gré des années, entre 1 ' i illustration ,
la BD, et la peinture.
Pour l'illustration, il n'y a aucune collaboration
régulière avec un journal, comme une rubrique ou une
page par mois ici et là. De temps en temps, c'est calme,
et puis d'un coup, tout se bouscule. C'est pour ça que
j'aime revenir régulièrement à la BD, avec un gros
chantier, un travail à long terme. En ce moment,
finalement, le travail qui m'appelle le plus est le New-Yorker
et aussi Senso. Sans cela, Lire, 1 ou 2 couvertures par
an ; Géo, pas grand chose ; Libé, plus rien.
Dans l'illustration, on peut rester longtemps à attendre
côté de son téléphone, alors que dans la BD on crée son
propre travail.
10.
Vous pratiquez également la sérigraphie
et la peinture. Quelle part de votre temps de travail
accordez-vous á. ce travail d'illustration ?
La sérigraphie est passée de mode. J'en ai fait
beaucoup, c'était un exercice graphique amusant pour moi
qui ne travaillais pas les couleurs en aplats.
Maintenant, il y beaucoup moins d'éditeurs de
sérigraphies, les gens ne doivent plus savoir quoi faire
de tout ça, ils n'ont plus de place sur leurs murs...
Pour ce qui est de la peinture, c'est de
l'huile sur toile, le besoin très personnel de me
confronter à autre chose, à d'autres matériaux, d'autres
formats, d'autres supports, et de ne pas savoir ou je
vais. C'est comme ouvrir une porte sur un nouveau
domaine infini.
11.
Du coup, devant l'ampleur de votre
travail d'illustrateur, Casterman vous propose de
compiler ce travail dans de simples albums. Charles
BERBERIAN nous faisait remarquer l'incroyable unité » et
la cohérence de ces livres composés de travaux
d'origines très diverses. A quoi est due l'impression
d'«Univers Loustalien » qui émane de vos travaux ?
En fait, je parcours toujours le même
monde, dont je n'ai heureusement pas fait le tour, à
travers des styles et des expressions graphiques
différents. Si un "univers" s'en dégage, ce n'est pas à
moi de le définir.
12.
Au niveau des scénarios, vous avez
travaillé avec des auteurs prestigieux ou fait des
adaptations d'auteurs connus (Charyn, Simenon..) Ne vous
sentez-vous pas prêt á travailler sur vos propres
scénarios ? Ne ressentez-vous pas le besoin de maîtriser
vos albums de A à z ?
Les histoires dont j'ai fait le scénario
sont peu nombreuses, courtes et en général, n'existent
que pour satisfaire ma juxtaposition d'images. Ce n'est
pas vraiment indiqué pour un album entier.
Je ne pense pas être un grand raconteur
d'histoires, moi, j'adore mettre en scène des nouvelles,
des synopsis auxquels je suis sensible.
En fait, c'est particulier : je fais le
"scénario", le découpage, le story-board précis, à
partir d'une ébauche de texte. Mais, l'histoire et les
dialogues, écrits par la suite, ne sont pas de moi.
C'est pour ca que je travaille avec des scénaristes de
BD traditionnels, qui arrivent avec un plan précis, la
documentation, etc.. Cela ne m'intéresserait pas.
13.
Votre prochain album est scénarisé par
Philippe PARINGAUX. Pouvez-vous nous parler un peu de ce
nouveau livre qui doit sortir fin Aout ?
"Le Sang des Voyous" est une histoire
très noire, dans les années 50, un peu un hommage à
J.-P. MELVILLE, José GIOVANNI, les films noirs de ces
années-là, mais avec notre façon de travailler et le
texte très inspiré de Paringaux. Aucune volonté rétro.
C'est assez violent, il y a même quelques scènes
d'action !
14.
Vous habitez une partie de l'année dans
notre région, face aux iles d'Hyères pour être plus
précis. On le ressent en regardant l'affiche que vous
avez réalisée pour Solliès. N'avez-vous pas envie de
situer une histoire dans cette région ?
En regardant bien, j'ai souvent utilisé
la région dans mes livres, ou bien comme décor de mes
illustrations. Par exemple, dans Barney, une scène avec
une Floride, au début, a pour cadre la Route du Sel avec
le vieux café en planches et les rondins qui retenaient
la dune (disparus depuis...)
Et, pour l'illustration de l'exposition
de l' AFAA sur la BD française dans les années 90,
j'avais dessiné un café de La Capte, "Pomme d'Amour" ou
quelque chose comme ça... L'image de ce café tout à fait
anonyme a ainsi fait le tour du monde.
Je pense aussi que la lumière de la
région est présente dans beaucoup de mes dessins.
15.
Une part un peu moins connue de votre
travail est le livre pour enfants. Pourtant, que ce soit
(encore) avec Philippe PARINGAUX ou avec Horacio QUIROGA,
vous semblez beaucoup tenir á ces livres pour Le Seuil
Jeunesse. Quelle importante revêtent-ils à vos yeux ?
Les livres pour enfants sont beaucoup
plus adaptés
des expériences graphiques, et cela me
permet de dessiner des animaux pas trop réalistes, ce
que j'aime beaucoup.
Je viens d'ailleurs de terminer un
nouveau livre au Seuil Jeunesse, "Le Petit Chacal et le
Crocodile", qui devrait faire un carton dans les
crèches. Par contre, je ne supporte plus de dessiner des
histoires d'adolescents, comme j'ai pu en faire chez
Bayard.
16.
Pochettes de disques, couvertures de
grands magazines, affiches de films, livres pour
enfants, illustrations de romans, Bandes Dessinées,
publicités : y a-t-il encore un secteur de l'édition que
vous n'ayez pas exploré ?
L'animation, les jeux vidéo...? Ai-je ma
place lá dedans? Je suis toujours impressionné par les
décors des jeux vidéos, le travail de Sokal par exemple.
17.
En 2003, vous avez tenté l'expérience de
la sculpture avec la mise en volume d'un de vos dessins
: le Chien, en bronze, qui a été tiré à 50 exemplaires.
Cela vous a-t-il apporté une nouvelle sensation face à
votre travail ?
Ce n'est pas moi qui ai sculpté ce
bronze. Je n'ai jamais sculpté ; mais, j'aime les
dessins de sculpteurs. Dans mes peintures, je travaille
sur les volumes, les formes épurées des paysages. Je
peins des statues que j'aurais sculptées si je savais le
faire.
18.
Dans l'album « La Débauche » de Jacques
TARDI, un des personnages, M. HELAS, est un peintre.
Petit clin aux amateurs, c'est vous qui avez réalisé les
peintures dans les cases de TARDI. Une carrière
exclusivement consacrée à la peinture vous aurait-elle
séduit ?
Non, j'aime trop la narration en images,
le livre, les échanges avec le scénariste, le rapport
image-texte, pour me consacrer uniquement à la peinture.
19. Mis à part vos tous premiers albums
sortis aux Humanoïdes Associés, vous êtes, depuis de
nombreuses années, fidèle & deux éditeurs : Casterman
pour les BD et les livres d'illustrations, Le Seuil pour
les livres pour enfants et les Carnets de voyage.
Avez-vous besoin de sécurité et de stabilité pour
travailler sereinement ?
Chacun de mes livres est ce qu'on appelle
maintenant un "one shot", vu l'envahissement des séries.
Donc, je ne vois pas trop pourquoi j'irais ailleurs,
tant que je suis bien traité par mes éditeurs.
Je conçois que certains aient une série
ici et une autre ailleurs, en cohérence avec telle ou
telle maison, mais le problème ne se pose pas dans mon
cas.
FIN
Sollies-Ville/Paris Juin/Juillet 2006 P.O.
Toutes les illustrations de cette interview sont ©
Jacques de Loustal
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