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2006  Interview Jacques de Loustal

Solliès - Ville (F) du 25/08/2006 au 27/08/2006 FESTIVAL
18e Festival BD Invité d'honneur : Jacques Loustal. Une grande exposition (plus de 40 originaux) lui est consacrée (en collaboration avec la Galerie Christian Desbois). Elle présentera une cinquantaine d'originaux.
Web : http://www.festivalbd.com
affiche: Loustal
 



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Interview Loustal BullDozer


BullDozer: Les revues d’information sur la bande dessinée: l'album du mois Loustal /Paringaux, une leçon de vie p. 82


 


 

 

 Interview Jacques de LOUSTAL

1.      On a découvert vos premiers dessins dans «(A suivre)» et « Métal Hurlant il a y une trentaine d'années. Expliquez-nous votre parcours pour en arriver lá.

J'ai d'abord dessiné dans des fanzines comme "Cyclone" ou "Antirouille", puis j'ai commencé à publier, vers 1977, quelques illustrations dans "Rock & Folk", puis des B.D, j'y ai rencontré Philippe Paringaux, alors rédacteur en chef, et nous avons commencé à collaborer ensemble. Ii m'écrivait des petites nouvelles qui ont récemment été rééditées dans l'album "La nuit de l'Alligator". A l'époque, il y avait cette connection "Rock & Folk"/ "Métal Hurlant" et nos histoires sont passées dans "Métal".

ils y a eu deux albums, puis je suis parti en coopération comme architecte au Maroc en 1992, et en rentrant c'est avec "A SUIVRE" que l'on a entamé nos grandes histoires, comme "Cœur de sable", "Barney et la note bleue", etc... L'idée "Roman en B.D" de "A SUIVRE" nous convenait parfaitement.

2.      Dès vos premiers récits, on sent dans vos histoires une forte connotation musicale. On y voit des musiciens, des instruments, des pianos-bars. Pouvait-on y voir l'influence de votre amitié avec Philippe PARINGAUX ?

Non, il se trouve que la musique (et son image) est très importante pour moi, c'est pour cela que j'ai tout d'abord présenté mes dessins à "Rock & Folk", revue que je sentais bien, et c'est une des raisons pour lesquelles nous nous sommes bien trouvés avec Paringaux.

3.      Des « voix-off » dans de gros « pavés de texte », placées au-dessous de vos dessins, furent dès le départ votre marque de fabrique. On vous a reproché que cela donnait un côté un peu rétro à vos histoires, mais vous ne vous êtes pas laissé influencer et avez persévéré. Considérez-vous que cette particularité fait aujourd'hui partie intégrante de votre style ?

J'aime le rapport image-texte, et j'aime que l'écrivain-scénariste avec qui je travaille puisse donner toute sa mesure, sans se limiter á des dialogues. J'apprécie le style, la musique de l'écriture. Paringaux, Charyn, Coatalem, tous sont des stylistes et la façon dont ils écrivent leurs histoires m'importe parfois plus que l'histoire en elle-même.

 4.Dans les années 80, votre dessin est un peu un OVNI. On a du mal á situer vos références, à trouver une filiation entre votre style et ceux de vos illustres prédécesseurs. Quelles ont été vos influences ?

Multiples, provenant du cinéma de la peinture, de la photo, de l'illustration et de la B.D : Hergé, Crumb, Moebius, Munoz...
 

5.Beaucoup de vos histoires se passent à l'étranger. Les voyages y jouent un grand rôle. Tiennent-ils également une grande place dans votre vie privée

J'aime voyager, j'ai le gout des cartes et des atlas, je me dois de connaître le maximum de pays du globe. Toute occasion de voyager est donc bonne à prendre, le but est d'en rapporter des images et des impressions, des sensations.

6.Pour en revenir un peu aux ambiances de vos albums, on a l'impression que vos personnages vivent «hors saison». Les stations balnéaires ont l'air désertées, les rues sont Vides. Que vous inspirent ces lieux

Je suis un peu agoraphobe et j'aime l'atmosphère de ces endroits délaissés, désertés, chargés de souvenirs.

7.      Rapidement, des planches en noir et blanc, vous êtes passé à la couleur directe. Et depuis, vous avez déployé tout votre talent dans la mise en couleur. Expliquez-nous votre technique de travail ; quels sont vos outils et matériaux préférés ?

Après avoir terminé l'esquisse poussée, j'encre à la table lumineuse sur papier aquarelle. Comme ça, je n'ai pas à gommer le crayon et abîmer le papier, puis j'utilise soit des aquarelles, soit des encres, en fonction des couleurs recherchées. Depuis quelques temps, j'ai redécouvert le dessin au crayon donc j'encre au crayon, je photocopie pour noircir le trait, puis je colorie à l'encre (voir les deux derniers albums).

8.      En parallèle de vos albums de Bande Dessinée, vous réalisez régulièrement des Carnets de voyage. Que vous apporte cet exercice de style » Le dessin de voyage est un dessin de complète liberté, je suis libre de choisir le sujet, le format, l'outil, le support, et ces expérience alimentent le travail d'illustrateur (par exemple dans le dessin au crayon, voir plus haut).

9.      Très vite, on a vu vos dessins dans des journaux nationaux et internationaux (New-Yorker, Lire, Senso, Libération, Le Figaro, Géo...), en dehors du monde de la Bande Dessinée. Comment avez-vous analyse cette notoriété ?

Tout en restant dans le domaine de l'image, je partage mon temps, au gré des années, entre 1 ' i illustration , la BD, et la peinture.
Pour l'illustration, il n'y a aucune collaboration régulière avec un journal, comme une rubrique ou une page par mois ici et là. De temps en temps, c'est calme, et puis d'un coup, tout se bouscule. C'est pour ça que j'aime revenir régulièrement à la BD, avec un gros chantier, un travail à long terme. En ce moment, finalement, le travail qui m'appelle le plus est le New-Yorker et aussi Senso. Sans cela, Lire, 1 ou 2 couvertures par an ; Géo, pas grand chose ; Libé, plus rien.

Dans l'illustration, on peut rester longtemps à attendre côté de son téléphone, alors que dans la BD on crée son propre travail.

10.      Vous pratiquez également la sérigraphie et la peinture. Quelle part de votre temps de travail accordez-vous á. ce travail d'illustration ?

La sérigraphie est passée de mode. J'en ai fait beaucoup, c'était un exercice graphique amusant pour moi qui ne travaillais pas les couleurs en aplats. Maintenant, il y beaucoup moins d'éditeurs de sérigraphies, les gens ne doivent plus savoir quoi faire de tout ça, ils n'ont plus de place sur leurs murs...

Pour ce qui est de la peinture, c'est de l'huile sur toile, le besoin très personnel de me confronter à autre chose, à d'autres matériaux, d'autres formats, d'autres supports, et de ne pas savoir ou je vais. C'est comme ouvrir une porte sur un nouveau domaine infini.

11.      Du coup, devant l'ampleur de votre travail d'illustrateur, Casterman vous propose de compiler ce travail dans de simples albums. Charles BERBERIAN nous faisait remarquer l'incroyable unité » et la cohérence de ces livres composés de travaux d'origines très diverses. A quoi est due l'impression d'«Univers Loustalien » qui émane de vos travaux ?

En fait, je parcours toujours le même monde, dont je n'ai heureusement pas fait le tour, à travers des styles et des expressions graphiques différents. Si un "univers" s'en dégage, ce n'est pas à moi de le définir.

 

12.      Au niveau des scénarios, vous avez travaillé avec des auteurs prestigieux ou fait des adaptations d'auteurs connus (Charyn, Simenon..) Ne vous sentez-vous pas prêt á travailler sur vos propres scénarios ? Ne ressentez-vous pas le besoin de maîtriser vos albums de A à z ?

Les histoires dont j'ai fait le scénario sont peu nombreuses, courtes et en général, n'existent que pour satisfaire ma juxtaposition d'images. Ce n'est pas vraiment indiqué pour un album entier.

Je ne pense pas être un grand raconteur d'histoires, moi, j'adore mettre en scène des nouvelles, des synopsis auxquels je suis sensible.

En fait, c'est particulier : je fais le "scénario", le découpage, le story-board précis, à partir d'une ébauche de texte. Mais, l'histoire et les dialogues, écrits par la suite, ne sont pas de moi. C'est pour ca que je travaille avec des scénaristes de BD traditionnels, qui arrivent avec un plan précis, la documentation, etc.. Cela ne m'intéresserait pas.

13.      Votre prochain album est scénarisé par Philippe PARINGAUX. Pouvez-vous nous parler un peu de ce nouveau livre qui doit sortir fin Aout ?

"Le Sang des Voyous" est une histoire très noire, dans les années 50, un peu un hommage à J.-P. MELVILLE, José GIOVANNI, les films noirs de ces années-là, mais avec notre façon de travailler et le texte très inspiré de Paringaux. Aucune volonté rétro. C'est assez violent, il y a même quelques scènes d'action !

14.      Vous habitez une partie de l'année dans notre région, face aux iles d'Hyères pour être plus précis. On le ressent en regardant l'affiche que vous avez réalisée pour Solliès. N'avez-vous pas envie de situer une histoire dans cette région ?

En regardant bien, j'ai souvent utilisé la région dans mes livres, ou bien comme décor de mes illustrations. Par exemple, dans Barney, une scène avec une Floride, au début, a pour cadre la Route du Sel avec le vieux café en planches et les rondins qui retenaient la dune (disparus depuis...)

Et, pour l'illustration de l'exposition de l' AFAA sur la BD française dans les années 90, j'avais dessiné un café de La Capte, "Pomme d'Amour" ou quelque chose comme ça... L'image de ce café tout à fait anonyme a ainsi fait le tour du monde.

Je pense aussi que la lumière de la région est présente dans beaucoup de mes dessins.

 

15.      Une part un peu moins connue de votre travail est le livre pour enfants. Pourtant, que ce soit (encore) avec Philippe PARINGAUX ou avec Horacio QUIROGA, vous semblez beaucoup tenir á ces livres pour Le Seuil Jeunesse. Quelle importante revêtent-ils à vos yeux ?

Les livres pour enfants sont beaucoup plus adaptés

des expériences graphiques, et cela me permet de dessiner des animaux pas trop réalistes, ce que j'aime beaucoup.

Je viens d'ailleurs de terminer un nouveau livre au Seuil Jeunesse, "Le Petit Chacal et le Crocodile", qui devrait faire un carton dans les crèches. Par contre, je ne supporte plus de dessiner des histoires d'adolescents, comme j'ai pu en faire chez Bayard.

16.      Pochettes de disques, couvertures de grands magazines, affiches de films, livres pour enfants, illustrations de romans, Bandes Dessinées, publicités : y a-t-il encore un secteur de l'édition que vous n'ayez pas exploré ?

L'animation, les jeux vidéo...? Ai-je ma place lá dedans? Je suis toujours impressionné par les décors des jeux vidéos, le travail de Sokal par exemple.

 

17.      En 2003, vous avez tenté l'expérience de la sculpture avec la mise en volume d'un de vos dessins : le Chien, en bronze, qui a été tiré à 50 exemplaires. Cela vous a-t-il apporté une nouvelle sensation face à votre travail ?

Ce n'est pas moi qui ai sculpté ce bronze. Je n'ai jamais sculpté ; mais, j'aime les dessins de sculpteurs. Dans mes peintures, je travaille sur les volumes, les formes épurées des paysages. Je peins des statues que j'aurais sculptées si je savais le faire.

18.      Dans l'album « La Débauche » de Jacques TARDI, un des personnages, M. HELAS, est un peintre. Petit clin aux amateurs, c'est vous qui avez réalisé les peintures dans les cases de TARDI. Une carrière exclusivement consacrée à la peinture vous aurait-elle séduit ?

Non, j'aime trop la narration en images, le livre, les échanges avec le scénariste, le rapport image-texte, pour me consacrer uniquement à la peinture.

19. Mis à part vos tous premiers albums sortis aux Humanoïdes Associés, vous êtes, depuis de nombreuses années, fidèle & deux éditeurs : Casterman pour les BD et les livres d'illustrations, Le Seuil pour les livres pour enfants et les Carnets de voyage. Avez-vous besoin de sécurité et de stabilité pour travailler sereinement ?

Chacun de mes livres est ce qu'on appelle maintenant un "one shot", vu l'envahissement des séries. Donc, je ne vois pas trop pourquoi j'irais ailleurs, tant que je suis bien traité par mes éditeurs.

Je conçois que certains aient une série ici et une autre ailleurs, en cohérence avec telle ou telle maison, mais le problème ne se pose pas dans mon cas.

FIN

Sollies-Ville/Paris Juin/Juillet 2006 P.O.
Toutes les illustrations de cette interview sont © Jacques de Loustal