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Une aventure nomade au long des côtes marocaines

NICOLAS FINET

© à Suivre numéro 123 (avril 1988)

A mi-chemin entre la fiction et le reportage littéraire, V comme Engeance conjugue la noirceur de l'écriture de Tito Topin et la couleur des images de Loustal, pour une admirable aventure marocaine.

Il y a Flippie Jackson, éperdue, cynique, trahie. Il y a Roberto Boffola, vieillissant, égaré, obstiné. Deux êtres éreintés qui consument leurs dernières forces. Un univers les sépare, il est pourtant inéluctable qu'ils se rejoignent, attachés l'un à l'autre par le lien invisible de la souffrance. Et puis, surtout, il y a le désert marocain, les décors immobiles, la vacuité et l'abandon des villes côtières. Chaleur, lumière, poussière, absence, c'est V comme Engeance, un beau texte de Tito Topin, accompagné par des images de Loustal.

Il y a quelque temps, les éditions Autrement ont sollicité Loustal pour un voyage au Maroc. Accord de principe. "je n'étais pas prévu au programme, raconte Tito Topin. Il se trouve que j'avais publié dans la presse une critique de Coeurs de sable, où je précisais quelques détails concernant le Maroc. Loustal m'a téléphoné, et m'a très vite proposé de réaliser le livre avec lui."

Si elle est fortuite, la constitution du tandem Topin / Loustal apparaît en tout cas parfaitement judicieuse. Tous deux entretiennent des liens étroits avec le Maroc; Tito Topin parce qu'il y est né, Loustal parce qu'il y a vécu, fasciné, en tant que coopérant français. Une relation intime, affective, que V comme Engeance rend très perceptible; qu'il s'agisse du texte ou des images, les lieux, les décors, les atmosphères sont décrits avec cette touche de tendresse qui trahit les vieilles complicités.

Au centre du récit, un itinéraire, de Tanger jusqu'aux paysages sahariens. Un trajet sur une carte, désordonné et impulsif, qui fait écho au cheminement intérieur des deux personnageshéros, Flippie et Roberto. Tout à la fois une fuite, une errance, une quête. "C'est cet itinéraire qui a servi de support à la conception de l'intrigue, dit encore Tito Topin. Dès le départ, Loustal ne souhaitait pas pénétrer à l'intérieur des terres, mais au contraire faire quelque chose de très atlantique. Ce qui me convenait à la perfection : je tenais moimême beaucoup à la façade atlantique, c'est mon univers, celui où j'ai vécu."

Loustal et Topin ont choisi de raconter leur histoire sur un mode languide. Torpeur lourde, épaisse, presque suffocante tant elle est pesante. Le parcours cahotique des deux personnages centraux, totalement focalisés l'un comme l'autre sur l'intensité de leur vision intérieure, est à l'image de cet écrasement. Deux individualités exténuées, meutries, qui trébuchent et titubent ensemble en direction d'un destin partagé, sans que l'on sache jamais si elles se soutiennent ou tentent de se faire chuter.

On ne s'étonne pas que Loustal, éternellement séduit par les décors déserts et les lenteurs de fin d'après_midi, se soit plu à s'immerger dans ces ambiances alanguies. Topin, lui, a dû rompre avec ses habitudes

d' ecrivain. Pasas ques on d éclats et de bagarres, reconnaît_il. Il a fallu que je m'accoutume à cette apparence d'immobilité, que j'adopte une écriture et une imagerie assez nouvelles pour moi. Cela dit, les choses ne sont statiques qu'en surface. Le paysage intérieur de nos deux personna

ges, lui, est très tourmenté. Leurs caractères, d'ailleurs, se sont progressivement détériorés à mesure que Loustal et moi avancions dans notre aventure nomade le long des côtes marocaines."

Mélancolique, parfois presque amer, V comme Engeance n'est pas seulement, loin s'en faut, un roman d'atmosphère. Aux portraits abîmés de ses héros à bout de souffle et d'espoir, Tito Topin a superposé quelques ressorts dramatiques directement inspirés par l'actualité: les guerres des pays arabes, le terrorisme... Roberto a perdu sa jeune épouse dans un attentat, le fils de Flippie est un tueur d'aéroport. Deux histoires passionnelles qui finiront par se fondre l'une dans l'autre, sur fond de dunes silencieuses, dans un campement de rebelles des sables. "J 'avais très envie de parler, même indirectement, du terrorisme, explique Tito Topin, envie aussi de montrer que les pays arabes ont toujours pratiqué la politique de l'otage."

Pas de morale, toutefois. Seulement la fatalité des trajectoires humaines, ordinaires et folles, tragiques et solitaires, Le désert et la mer, eux, sont toujours là, indifférents.

 

Loustal _ Tito Topin : V comme Engeance _ Ed. Autrement _ 80 P. 98 F. Tito Topin vient également de publier, aux éditions Grasset, un roman qui s'intitule _. Un gros ,besoin d'amour (234 P. _ 89 F).

 



© à Suivre numéro 123