dossiers : Loustal-Coatalem: la BD prend le large

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Dessinateur, peintre, illustrateur baroudeur, Jacques de Loustal ne se donne pas souvent les moyens de s'ennuyer. 


Pour lui, la richesse naît clairement de la diversité : ses incessants va-et-vient entre l'illustration et la bande dessinée lui permettent de ne pas laisser sa créativité se diluer dans des travaux de commande ou, à l'inverse, se concentrer jusqu'à se figer dans une monomanie typiquement BD. Par-dessus tout, le créateur se veut aussi libre de ses projets que l'homme de ses mouvements : le premier ne s'est jamais engagé sur la voie glissante de la série, le second prend régulièrement la route pour se forger de nouvelles envies.




Si les débuts de Loustal correspondent au plein essor de la BD, époque depuis laquelle pas mal d'eau a coulé sous les ponts (de Tolbiac notamment et évidemment), il n'est pas le moins du monde blasé : la bande dessinée a encore beaucoup de choses à dire, pour autant que ses auteurs ne se laissent pas scléroser. 

Coatalem, lui, n'est pas vraiment un fou de bande dessinée, qu'il considère comme un univers parallèle à sa vie de nouvelliste-journaliste-romancier-globe-trotter. Comment est donc venu aux auteurs ce désir de collaborer ? C'est que Coatalem a quelque chose que Loustal n'a pas - il y a quand même une justice ici bas - et qui le fait fantasmer : sa verve ciselée, ce joujou extra-stylé qui le rend apte aux plus impressionnantes prouesses textuelles. 

Ses romans, ses nouvelles et ses récits de voyage sont empreints d'une ironie légère, qu'il manie avec habileté dès lors que sa plume caresse le papier (*). 

Extraites du recueil Tout est factice, les deux nouvelles qui composent Jolie mer de Chine mettent en scène des personnages dont la vie apparaît comme instable et truquée. C'est aussi cette dimension qui a plu à Loustal, qui partage avec Coatalem une même sensibilité, leurs œuvres mêlant pareillement les aspects graves et plus légers de l'existence.




En résumé, Loustal ne conçoit de BD que de qualité : si dialogues il doit y avoir, qu'ils soient riches et colorés, que les phrases puissent nous exalter, en un mot, que le Verbe nous soit cher (*)! 

De ses relations fécondes avec des scénaristes musclés sont nés des albums forts, où les textes souvent off déroulent des histoires faites de tragique et de comique - dans la mesure où l'ironie du sort est considérée avec suffisamment de distance pour que l'on puisse en rire. Amours implacables, haines passionnées, les destinées des personnages se cristallisent en parcelles d'éternité, figées dans des instantanés travaillés, que le dessinateur arrive à enchaîner sans à-coups, comme si de rien n'était.


Tel est l'effet Loustal, saisissant et paradoxal : il fait bien de la bande dessinée (les cases, les images, les découpages en attestent), mais une bande dessinée "distanciée" : l'adhésion n'est pas immédiate, les regards l'emportent sur les mouvements, les psychologies complexes se dessinent au fil des événements. Ainsi s'ébauche une réponse, peut-être, à la question de la légitimité de la bande dessinée (*), une forme de synthèse possible entre BD et littérature, à travers une approche nécessairement personnelle. 

Paradoxe encore : cette approche personnelle est partagée, à travers des histoires d'horizons différents qui, réappropriées, transformées par l'alchimique palette, sont au final reconnaissables entre toutes : " Bon sang, mais c'est bien sûr du Loustal ! ". Les œuvres pourtant ne se fondent jamais dans un moule, l'auteur s'acharnant à le casser à chaque nouvelle entreprise, pour découvrir de nouveaux outils, de nouveaux gestes, de nouveaux… automatismes ? Horreur ! Il est temps de changer d'air !


Paradoxe toujours - ou tour de force ? - ou nécessaire ambition ? Que cette approche personnelle ne soit surtout pas confidentielle ! Loustal est ouvert à tout projet novateur, pour autant qu'il soit susceptible d'intéresser suffisamment de lecteurs. 

Toujours ici et en même temps ailleurs, aujourd'hui dans le registre drôle et léger des nouvelles de Coatalem, qui lui va si bien aux teintes, il surgira demain là où on l'attend le moins. Ainsi, on a peine à imaginer ce coloriste surdoué se tourner vers le noir et blanc : c'est pourtant du domaine du possible.




Pour Loustal comme pour Coatalem, ces deux complices merveilleusement instables, les frontières sont toujours à traverser, dans la création comme dans la vie (*) : il est dans notre intérêt de lecteurs de leur souhaiter bons voyages. 


Frédéric Desmarets 
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