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Jolie mer de Chine 
Tournant le dos à Paringaux et Charyn, Jacques de Loustal adapte Jean-Luc Coatalem pour naviguer dans les eaux troubles du quotidien fantastique et de la méditation métaphysique...


Adaptation de nouvelles
Dans son recueil de nouvelles Tout est factice (paru en 1995 chez Grasset), Jean-Luc Coatalem prenait prétexte de la croisière du paquebot paquebot "Palmerston" pour conter des histoires où le fantastique apparent se révélait n'être qu'une manifestation de la banalité des accidents du quotidien. Son projet rejoignait un peu celui de Dino Buzzatti, avec plus de futilité peut-être. Tournant le dos à ses scénaristes Paringaux et Charyn, Loustal a puisé dans ce livre deux histoires courtes, qui forment la matière principale de son nouvel album. Les coups de dés du destin et la dérision de l'existence sont encore une fois au coeur de ses récits absurdes et teintés d'humour noir.
Le dessinateur s'est d'abord intéressé au cas de Gilbert, un jeune homme « pas très net » chargé par son patron de supprimer l’héritière de la société Loubières et fils de Saïgon. Pour le tueur à gages improvisé, le travail semble facile, mais la fatalité, qui n'aime pas que l'on tente de trafiquer ses scénarios, viendra contredire son cynisme optimiste...
A la suite de ce premier récit, Loustal se penche sur le cas étrange de Lucien, steward soucieux de chasser de ses nuits un cauchemar obsédant. L'embarquement à Shangaï du fameux professeur Caramajis, père de la nouvelle psychiatrie, qui semblait tomber à pic, lui réservera bien des surprises... 


L'indifférence du monde naturel
Le décor du paquebot, milieu clos par excellence, confère à chacune de ces anecdotes un relief inattendu d’étrangeté. Loustal et Coatalem décrivent d'abord un microcosme autonome réglé par des rites et des conventions que rien ne semble pouvoir perturber en apparence. Et qui n'est qu'une fuite devant le poids des déterminismes.
Si le dessin stylisé de Loustal réussit sans surprise à retranscrire l’atmosphère feutrée des grands paquebots, il excelle surtout à donner à chacun de ses personnages des masques impénétrables. Ce gage de mystère, qui désavantage souvent ses capacités à émouvoir, réussit à créer une distanciation qui évoque la retenue critique de "l'ère du soupçon" chère à Nathalie Sarraute.
Dans ces deux récits, la Mer de Chine n'est qu'une toile de fond qui se soucie peu du malheur des mortels: sa surface lisse ne se trouble jamais que pour engloutir les importuns. Alternant représentation large du navire et traitement en plan serré de la vie à bord, Loustal restitue l'indifférence du monde naturel pour la vulnérabilité des hommes, élevant ainsi le propos de Coatalem à une portée métaphysique. Il n'empêche que cet album, malgré ses qualités, reste bien anecdotique dans la bibliographie autrement plus ambitieuse de Jacques de Loustal.

Benoît Mouchart et Gaby Scaon, Centre National de la Bande Dessinée et de l’Image d'Angoulême.