- Elsa Marpeau
PUBLICATIONS En Pièces, roman, éditions du Panama, Paris, 2006. Recherche au sang, roman, éditions du Félin, Paris, 2003. Le petit Livre des brunes, éd. du Panama, janvier 2007. MARPEAU E., BETH A., Figures de style, Librio, Paris, 2005. Des Crocodiles dans les égouts et autres légendes urbaines, Librio, Paris, 2006. Apollinaire, Les Onze Mille Verges, Préface par E. MARPEAU, Librio, Paris, 2006. Carpe diem, anthologie poétique, réalisée et présentée par E. MARPEAU, Librio, Paris, 2006. Molière, Tartuffe, notes et dossier par E. MARPEAU, Hatier, Paris, 2002. Sophocle, Antigone, préface et dossier par E. MARPEAU, Librio, Paris, 2005.
De la fiction avant tout !
Les éditions du Panama (nées en 2005 et dirigées par
Jacques Binsztok) proposent déjà un intéressant
catalogue – des œuvres de fiction, des ouvrages pour la
jeunesse, des essais et une revue de belle facture,
graphiquement originale, destinée à paraître deux fois
l’an.
Ce premier numéro s’intéresse de très près à
l’assassinat, au meurtre et à la fascination que la
violence individuelle exerce sur l’imaginaire – quelles
que soient les motivations premières des comportements
décrits. Plus d’une quinzaine de nouvelles rassemblées
ici abordent la thématique : nouvelles policières, de
suspense, mini-polars ou drames humains, dans tous les
genres et tous les styles. Une façon de (re)découvrir
plusieurs voix littéraires, une grande diversité
présidant naturellement à l’ensemble.
Catherine Allézy, Boris Bergman, Fabienne Berthaud,
Jérôme Boursican, Jean-Baptiste Evette, Marie Faucher,
Henri Gougaud, Guillaume Lecasble, Nathalie Leone,
Loustal, Elsa Marpeau, Denis Marquet, Yveline Méhat,
Achille Ngoye, Vincent Ravalec, Gérard Rondeau.
On s’attardera sur quelques-uns de ces récits, comme le
fascinant drame conjugal signé Fabienne Berthaud
(L’anniversaire de Betty), auteure de Mal partout (un
roman paru au seuil en 1999 et qui déjà abordait le
sujet), ou Simple distraction d’Henri Gougaud (son
dernier roman, Le voyage d’Anna, est paru en 2005), dont
l’intrigue rappelle adroitement les nouvelles cocasses
et noires de Roal Dahl. On aime aussi le récit semi
fantastique de Jean-Baptiste Evette (auteur de romans
jeunesse et de Jordan Fantosme, de Rue de la femme sans
tête, etc. – Gallimard) : Peuplier noir (une tentative
de meurtre) se présente comme un récit d’enfance, le
narrateur se remémorant d’angoissantes vacances d’été
passées en grande partie dans les branches d’un arbre
immense dont la véritable nature ne se révèlera que plus
tard. De même, Opération Kirka (de Boris Bergman,
romancier et parolier) est un surprenant manuscrit
reproduit tel quel – aux marges du fantastique,
irracontable (au risque de trop en dire…), mais qu’il
faut lire sans attendre.
D’autres récits, plus en phase avec la réalité, donnent
du fil à retordre au lecteur : il est ainsi nécessaire
de lire et relire Terror (de Guillaume Lecasble, auteur
de Cut et de Lobster) pour en saisir le déroulement –
tout se passe dans un restaurant soudain évacué pour
cause d’attentat à la bombe – et de s’attarder sur
Assassiner n’est pas tuer de Jérôme Boursican, un récit
dans lequel un avocat (la profession de l’auteur)
retrace froidement, avec lucidité, la manière dont il a
défendu un assassin (ou un tueur ?) tchétchène : « il
repartit dans les montagnes du Caucase, commettre
d’autres assassinats en état de légitime défense. »…
Trois portfolios complètent le tout, réalisés par un
photographe, Gérard Rondeau (De l’autre côté du pont,
une composition photographique au caractère morbide et
poétique, ponctuée de citations ou de brèves réflexions
personnelles), un peintre, Guillaume Lecasble (Jour et
nuit il pleut dans l’oubli, une série de portraits qui
racontent l'histoire d'un homme aux prises avec sa
mémoire) et un dessinateur, Loustal (une séquence
intitulée Scènes de crime, des illustrations
accompagnées de textes imaginant les récits qui s’y
cachent). Le visuel est aussi présent dans les
reproductions d’anciennes couvertures appartenant à la
presse à sensation des siècles précédents (Le petit
journal, Le journal illustré… ou d’autres faits divers
et « romances » comme ce « Petit crucifié »…) – des
images qui fleurent le mauvais goût mais que la patine
du temps a rendues pittoresques.
A signaler aussi, un entretien imaginaire avec Blaise
Cendrars, les mots croisés d’Henri Gougaud, des conseils
de lecture, et d’intéressantes analyses sur la fiction
et ses (nouveaux) modes d’expression : dans « Notes en
défense de la fiction », Jean-Baptiste Evette plaide
avec ardeur pour un renouveau de la fiction (« La fable
(…) lieu unique de liberté » n'est « pas une chose
vieille et vidée, mais un domaine presque neuf, un
continent obscur auquel on a à peine abordé. ») et pour
l’abandon de l’auteur (qui doit «se laisser posséder par
des voix étrangères.») ; tandis que Denis Marquet
s’attaque intelligemment au règne (relatif) de
l’autofiction et au dévoiement de ceux qui « tournent
autour du moi », se complaisant dans cet ego
superficiel, un matériau qui ne crée pas de la
littérature, mais de l’autobiographie maniérée… : « il
s’agit de se demander (…) ce qui est littérature et ce
qui n’en est pas. ». On repense alors au (bon) mot de
Dumitru Tsepeneag : "L'autofiction, c'est
l'autobiographie avec la raie de l'autre côté."...
Nul doute à avoir cependant concernant Kwak, qui
s'affirme comme une authentique revue de littérature
contemporaine.
Blandine Longre
(janvier 2006)
Blandine Longre, agrégée d’anglais, est l’une des
fondatrices de Sitartmag ; elle s’intéresse tout
particulièrement aux écritures contemporaines
(francophone, anglophone, asiatique, orientale etc.), à
la littérature pour la jeunesse, au théâtre (texte et
représentation) et aux relations qu’entretiennent
fiction et réel.