2008
Hublots
Mardi 30 décembre 2008
l’image d’une jeunesse échevelée, exhumée sous les traits du grand âge
(…) Il m’est apparu une fois, dans un rêve qui n’en était pas un. Dix ans
après sa mort. Tout me disait que c’était lui mais son visage avait beaucoup
changé, était presque celui d’un homme plus jeune, d’une quarantaine
d’années peut-être. Comme si une fois mort il avait continué seul, sans
spectateurs, à s’affranchir de tout, débridé, complètement.
Une anecdote me revint quelques jours plus tard en repensant à ce visage.
Lorsqu’en 1840 une mission française partit pour Sainte-Hélène déterrer le
cercueil de Napoléon, dont Louis-Philippe avait autorisé le retour, c’est
Bonaparte que les Français découvrirent dans le cercueil : le visage avait
perdu tout l’embonpoint de Napoléon, le nez, les pommettes étaient de
nouveau saillants, et les joues creuses. Et il avait le teint cireux des
années de vaches maigres.
Ce qui parvenait d’outre-tombe ce n’était pas un crâne, aucun memento mori.
C’était l’image d’une jeunesse échevelée, exhumée sous les traits lourds et
flasques du grand âge. La mort travaillait en silence, dans le noir, à faire
resurgir cette jeunesse. Non pas les traits de l’aventurier, ou du criminel,
figés par les hommages, mais ceux de l’aventure, du mouvement, de la mort
œuvrant contre elle-même, à sa propre mise en déroute. Que l’on représente
toujours narquoise, mauvaise, armée. Qu’il faut imaginer hébétée, possédée,
amoureuse (je l’ai eue), enrhumée (jeu de jambes, dribble, je passe, elle
n’a rien vu). Si bien qu’il me murmurait presque : « Souviens-toi que tu ne
vas pas mourir. »
Arno Bertina, Ma solitude s’appelle Brando, Verticales, 2008, p. 82-83
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