2016 Loustal Confidential
Le maître de la BD noire a encore frappé
A 60 ans, son trait est toujours aussi architectural, sa lumière brûle la
rétine et ses couleurs font monter la température d’un cran. Le lecteur sue
à grosses gouttes en tournant fébrilement les pages de son album Black Dog,
paru chez Casterman, d’après un scénario de Jean-Claude Götting. Jacques de
Loustal ne pratique pas la câlinothérapie comme certains de ses confrères
bédéistes. Ne comptez pas sur lui pour truffer son récit de mots doux et
clôturer par un « happy ending » à la gloire des peuples réunis. Il laisse
la fraternité et autres fadaises humanistes aux amuseurs de patronage. Son
cadre de travail, depuis sa collaboration à Métal Hurlant, a le parfum du
désenchantement.
L’homme misérable y est dépeint sous toutes les coutures. Le soleil
assommant plombe la vue de ses héros de papier. Les films de gangsters des
années 50-60, qui ont nourri son imaginaire, aiguisent la violence de son
pinceau. Cet homme-là a la nostalgie d’une Amérique désolée qu’il traversa
durant sa jeunesse. L’ironie des destins fracassés constitue sa matière
première. Les espaces désertiques cimentent la pensée. Alors, est-ce encore
de la bande-dessinée ? Oui, si l’on compte les cases et les bulles. Non, si
l’on considère Loustal comme un illustrateur de premier ordre. Un paysagiste
de la mouise. Un peintre de la noirceur en Technicolor. C’est pourquoi son
univers graphique correspond à l’âpreté de Simenon, Denis Lehane, Jerome
Charyn ou encore Jean-Luc Coatalem.
Dans Black Dog, remake de Noir (éditions Barbier & Mathon), il a convaincu
Götting de transposer son histoire originale aux années 70-80. Le résultat
est somptueux, d’une cruauté sans rédemption possible. Chaque planche
pourrait être exposée dans un musée et rendre fou de rage les artistes
officiels. Les collectionneurs ne s’y trompent pas et reconnaissent depuis
longtemps la haute valeur picturale de ses œuvres. Dans cette aventure qui
ressemble à une farce morbide, tous les ingrédients du désastre sont en
marche : une blonde nympho à lunettes, un grand chien noir, une piscine bleu
électrique, un inspecteur de police et des mauvais garçons prêts à tout pour
une poignée de dollars. Le tout, dans un décor hollywoodien stylisé jusqu’à
l’épure. Stefan Slovik, mécano fraîchement viré par son patron et ne
maîtrisant que quelques mots d’anglais, va croiser la route de Monsieur
Deville, un mafieux enragé qui ne lui laissera aucune porte de sortie.
L’argent et le sexe ne sont que des prétextes au déchaînement des hommes.
C’est de la tragédie antique avec de longues voitures américaines et une
fille en bikini rouge sang.
Black Dog, Loustal et Götting, Casterman.
Thomas MoralesThomas Morales
est journaliste et écrivain...
Publié le 04 juin 2016 / Culture
Mots-clés : bande dessinée, Black Dog, Jean-Claude Gotting, Loustal |
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