Loustal embarque pour la mer de Chine
Depuis des années, on peut croiser les dessins de Loustal dans la presse, sur des couvertures de romans, des affiches de films ou dans les albums qu'il signe avec Paringaux, Charyn et dernièrement Coatalem.
Quai de Seine, face aux inoxydables adeptes de la pétanque,
Jacques de Loustal travaille dans un atelier avec mezzanine de la
Ville de Paris. A :erre, au milieu des cartons à dessins, graine un
sac de sport, puisque le dessinateur joue activement au tennis,
activité nettement plus adaptée à la capitale que le kayak de mer
qu'il pratique lors de ses voyages. Au mur, parmi les toiles de
l'artiste, le visiteur s'arrête aussi devant un dessin original de
l'Américain Daniel Clowes. En fond sonore, Loustal écoute le
dernier disque de Brian Ferry, « c'est toujours bien », dont il vient de
faire l'acquisition chez son disquaire montmartrois à son retour
d'un séjour de trois semaines entre le Vietnam et le Midi de la
France. Pour l'heure, il publie ces jours-ci chez Casterman une
bande dessinée tirée de deux nouvelles de Jean-Luc Coatalem,
tandis qu'une exposition de ses oeuvres se tiendra du 29 mai au 22
juin à la galerie Frédéric Bosser, sise au 4 de la rue Dante.
Né en 1956 dans une clinique de Neuilly, le jeune Loustal
habita une vingtaine d'années rue Saint-Placide - bien qu'il soit
aujourd'hui exilé sur la rive droite. Le quartier, qu'il sillonna
inlassablement, lui allait comme un gant. Le futur illustrateur fréquentait
alors les bancs de l'école de la rue Littré, des lycées Montaigne
et Louis-leGrand. Après un intermède, le temps d'un service
militaire en coopération au Maroc, le voilà aux Beaux-Arts pour
des études d'architecture qu'il mettra huit ans à terminer. « A
la fin, j'avais déjà publié trois albums! », lâche-t-il
laconiquement.
Dès 1977, parallèlement à l'apprentissage de
l'architecture, Loustal participe à Cyclone,
le fanzine du lycée de Sèvres. Un de ses amis
collaborateur de Rock
&
Folk, magazine
dont il appréciait l'esprit, lui explique à quel moment débarquer
dans les locaux de la rue Chaptal avec « ses
petits dessins » sous le bras
(ses illustrations ont depuis été réunies dans Une Vespa,
des lunettes noires, une Palm Beach,
elles voudraient en plus que j'aie de la conversation). Là, il fait la connaissance de Philippe Paringaux qui
glissait des « Bricoles
» dans le journal et deviendra l'un de ses meilleurs
alter ego. Ensemble, ils signeront plusieurs merveilles tels Un jeune homme romantique, Barney et la
Note bleue (dont il existe une traduction en
lituanien!) ou Kid Congo (qui
reçut le prix international de la ville de Genève
et l'Alph'Art du scénario à Angoulême) que l'actrice Emmanuelle Béart
chérissait tant qu'elle envisageait de le porter à l'écran.
Deux
histoires sur un même bateau. Amateur des romans iconoclastes de Jerome Charyn, Loustal rencontra
le grand Américain grâce à Jean-Paul Mongin, le fondateur de A suivre où il commença à faire paraître ce qui deviendrait des albums à partir de
1984. Généralement, Charyn lui apporte une bonne histoire dans
laquelle il s'implique « mais
on ne peut pas vraiment parler d'étroite collaboration »,
ironisetil. Tous deux réaliseront notamment Les frères Adamov ou White Sonya (qui a été traduit en coréen), ainsi que deux ouvrages pour enfant chez Syros.
Son dernier acolyte, avec lequel il s'est acoquiné
pour jolie
mer de Chine, deux histoires sur un même bateau, il
le découvrit lorsqu'il s'occupa de la couverture de certains minces
volumes du Dilettante (L'envers
vaut l'endroit de Raymond Cousse ou Ecrivain international d'Edward Limonov) où JeanLuc Coatalem publia quelques-uns
de ses meilleurs livres dont Zone
tropicale qui l'avait beaucoup amusé. Du coup,
Loustal ornera la couverture du suivant, Fièvre jaune (1989), d'un paquebot et le
tandem produira plus tard son premier essai en commun avec 50000 dinars (éditions Reporter).
Jacques de Loustal n'a jamais chômé. On a pu identifier sa patte sur des
« Folio » - il vient d'ailleurs de leur rendre un nouveau Erskine
Caldwell - et des « Points Seuil », dans Géo, Libération,
Epok ou dans le prochain Senso consacré aux ports, dans des publicités pour le Club Méditerranée,
sur l'étiquette d'un capiteux vin de Cahors. Sans compter les trois
couvertures (une sur les mariages gay qui lui valut de nombreux
courriers, les boat people arrivant à New York et le téléphone
portable) qu'il réalisa pour le prestigieux New Yorker. Il continue d'y publier des dessins agrémentant régulièrement
des nouvelles de Mavis Gallant ou de Nadine Gordimer...
Loustal n'invente jamais d'histoires. En demande de scénarios,
il a pris le parti des adaptations et va puiser dans la littérature
pour trouver de la matière. Comme il goutte la noirceur de Mac
Orlan et de Simenon, il a mis en image Sous la lumière froide du premier pour Futuropolis et compte déjà à son actif quatre titres du
second paru dans la collection des « Carnets » des Presses de la
Cité (où deux nouveaux Maigret sortiront en septembre). Loustal
s'intéresse au style et à l'écriture qui lui permettent de coller
des images à une musique, « d'entrer dans les
détails ». Contrées lointaines.
Grand amateur de Stephen King, il trouve toujours la première
partie géniale mais a tendance à terminer les derniers pavés en
accéléré! Musicalement, il « vibre plus avec Jimmy Page qu'avec John Coltrane », a su rester fidèle à Alice Cooper et vient d'acquérir
« quelque chose de
sérieux » pour écouter ses CD. La proximité du
cinéma MK2 ne nuit pas à la concentration de cet admirateur de
Michael Mann bien qu'il s'y rende fréquemment en début d'après-midi,
qu'il y ait vu Mulholland Drive «
une fois par semaine pendant trois semaines »,
aimé l'ambiance de Une affaire privée, et marché à Panic Room.
Dès que
possible, Jacques de Loustal quitte la ville, s'envole pour des
contrées lointaines ou file simplement vers l'axe Lyon/Presqu'île
de Giens, roulant sur l'A6 et
l'A7 au volant d'une de ces berlines françaises taillées pour la
route. On le croisera bientôt à Prague car l'Institut français prépare
une exposition en son honneur. A Bruxelles, Loustal (qui fut un jour
coincé dans un baobab au Sénégal) a déniché la réédition du
carnet de notes d'Hemingway et de Bruce Chatwin (l'auteur de En Patagonie dont il vante la richesse et la densité) avec « un excellent papier pour le crayon ». Après des années au pinceau, le dessinateur a en effet
opté pour la mine...
ALEXANDRE FILLON
Jolie mer de Chine,
de Loustal,
Coatalem, Casterman, tirage: 15000 ci., 48 pages quadri, 9,45 euros,
ISBN:2-20335605-7.
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